J’ai
pu attraper le petit-déjeuner à la dernière minute ce matin. Il ne restait pas
beaucoup de fruits, mais le pain un peu sec et des céréales m’ont rassasié.
J’avais entendu de bons commentaires au sujet du film Le Grand soir lorsque je m’étais rendu à la projection de Valse, et puis ça n’en prenait pas plus pour me
convaincre. La représentation était à 11 heures, donc c’était parfait pour les
heures de sommeil dont j’avais besoin. Je suis arrivé assez tôt, et dans la
file d’attente j’ai pu terminer ma lecture de L’immortalité, un essai de Milan Kundera, qu’il désigne comme la
vraie version de L’insoutenable légèreté de l’être. Une des premières idées avancées par Kundera dans
cet essai est à propos de l’éternité des gestes. Aux dires de l’auteur, nous
puiserions nos expressions corporelles dans une banque restreinte de gestes qui
sont, pour la plupart, aussi vieux que le premier des hommes. Un geste ne peut
donc pas être original, puisque nous n’en sommes pas le créateur, ni le
titulaire. Et Kundera pousse l’idée plus loin en disant que nous ne choisissons
pas les gestes qui nous animent, mais que ce sont les gestes qui nous
choisissent. Et l’essai se poursuit en abordant plus longuement la vie intime
de Goethe, à savoir de quelle façon l’on a construit son immortalité, le tout
entremêlé d’histoires d’amour plus contemporaines, écrites de façon plus
narrative, mais tout aussi philosophique.
Puis
j’ai dû me lever, et suivre la foule qui s’avançait vers la salle Debussy. Au
moment de traverser les barrières, comme à l’habitude, j’ai montré mon badge à
l’agent de sécurité, vêtu d’un complet beige comme tous les autres agents du
palais des festivals. Et je monte les marches rouges, ensuite fait fouiller mon
sac de façon superficielle, pour finalement tendre les bras afin de me prêter
au détecteur de métal. Le tout se déroule en une minute à peine. Et je gagne le
parterre, me trouve une place de choix dans la partie plus à droite de la
salle. Je prends une photo du grand écran, sur lequel est inscrit le titre du
film, nettoie mes lunettes, regarde un peu partout, jusqu’à ce que Thierry
Frémaux vienne présenter le film de façon officielle. Cette fois l’équipe du
film n’est pas venue se faire féliciter, car j’ai cru comprendre que les
réalisateurs la dernière fois avait semé la pagaille sur la scène, ou quelque
chose comme ça. Alors cette fois on présentait le film sans ses réalisateurs.
Monsieur Frémaux s’est contenté de saluer le succès des autres films de Benoît
Délépine et de Gustave Kervern, pour nous dire enfin qu’un invité spécial se
trouvait dans la salle. Il s’agissait de Jean Dujardin. Le célèbre artiste
s’est levé un moment, sous les applaudissements, puis s’est rassis, étant
pratiquement le seul à occuper la rangée V.I.P. Puis j’ai aperçu, à la même
hauteur que moi, mais dans la partie gauche de la salle, le groupe de
Mile-Endais, à qui je devais ma présence à cette projection ; l’un d’eux tenait
absolument à voir le film, depuis le mois d’octobre, et m’en avait informé.
Puis Le Grand soir débutait.
Si
l’on considère la trame de fond du film, la crise des travailleurs en France,
c’est un film dans la lignée des Neiges du Kilimandjaro. Mais Le Grand soir traite le sujet beaucoup plus humoristiquement. Les
projecteurs sont braqués sur la vie d’un des deux frères Bonzini, qui d’abord
est menacé de perdre son emploi de vendeur de matelas, vu ses ventes qui
diminuent. N’acceptant pas cet échec, qui s’explique par la crise, celui-ci
sombre dans l’alcool, et un soir complètement saoul, il sème le chaos dans le
magasin de matelas, en sautant partout, pour finalement remettre sa démission.
Le lendemain, il se pointe au travail, et son supérieur lui montre la vidéo de
ses exploits d’hier, et la lettre de démission, visiblement écrite sous l’effet
de l’alcool. Il n’en revient pas. Sa situation s’aggrave, un moment il tente
même de s’immoler dans un centre d’achat, imbibé d’alcool, mais ne parvenant
pas à faire craquer l’allumette. Après son travail, inévitablement, il perd sa
femme et la garde de son enfant. Et c’est son frère, Not, le plus vieux punk à
chiens en ville, qui le prend sous son aile. Il lui apprend les rudiments de la
vie de sans-abri. De la façon de quêter, jusqu’à la façon de se coiffer, et de
se tatouer. L’ancien vendeur de matelas vient à prendre goût au mode de vie de
son frère, puis les deux frères organiseront ensemble un super party, invitant
tous les mécontents à se réunir, pour un Grand soir.
À
la sortie de la salle Debussy, je ne sais pas exactement ce que j’ai fait entre
aller voir aux objets perdus s’il n’y avait pas mon parapluie, et sortir
bredouille, bien qu’il dût y avoir une centaine de parapluies noirs ; ou bien
je suis allé à l’épicerie, me prendre un petit lunch et une bière, pour me rendre pénard au Collège, en
passant par la plage ; ou encore j’ai accouru au Collège pour le repas d’une
heure. Il me manque un bout entre les deux films.
Bref,
le soir, j’ai vu Operation Libertad, qui
était présenté à 21 heures, au Théâtre Croisette JW Marriott, dans le cadre de
la Quinzaine des réalisateurs.
(La salle est dans le deuxième sous-sol d’un casino, mais elle est super belle,
la salle.) Avec un grand naturel, le réalisateur, Nicolas Wadimoff,
nous a parlé de son film avant d’inviter tout le casting à monter sur scène. J’aime ce côté plus imprévu des
projections hors-concours, on se sent presque entre amis. Les présentations
sont plus chaleureuses, les invités prennent leur temps, et le plus souvent une
période de questions suit la projection. Le récit du film se déroule en Suisse.
Un papa, déçu de savoir que ses enfants ne le trouvent pas cool, se replonge dans une histoire survenue il y a plus
d’une trentaine d’années, en 1978, alors qu’il avait rejoint les rangs d’un
groupe de révolutionnaires. Sa rencontre avec le groupe qui allait organiser l’Opération
Libertad s’était faite de façon inusitée,
soit lors d’un concert punk. Depuis la fin de sa formation, il avait toujours
sa caméra avec lui, et lors de ce concert, son attention s’était portée sur un
groupe d’amis qui fêtait un anniversaire. D’abord il tourne des images de la
bande, puis se lie d’amitié avec le groupe de révolutionnaires. Celui-ci
réprouve quelque peu l’idée d’être filmé pendant la préparation de leur
opération, mais finalement y prend goût, se disant que des archives pourraient
être utiles un jour. C’est donc avec des images vidéos de qualité VHS, avec cette
esthétique popularisée par des films comme Le Projet Blair, que nous sommes mis au courant des activités
clandestines du groupe, jusqu’à l’accomplissement du projet ; l’enlèvement d’un
membre de la pègre se servant d’une banque suisse pour blanchir de l’argent.
Après le difficile enlèvement, le groupe décide d’envoyer les images de l’enlèvement
aux médias, y compris la confession du banquier à propos des activités
illégales de la banque. Mais rien ne se passe, les médias ne diffusent rien,
malgré l’enlèvement, et personne n’entend parler de l’opération. Se cachant
dans un endroit puis dans un autre, en possession des millions qu’allait
déposer le malfrat à la banque, le groupe disjoncte complètement lorsque son
prisonnier rend l’âme. Les membres quittent les rangs du groupe peu à peu,
jusqu’à la dissolution du groupe, et qu’un pacte de silence soit conclu. Si je
me souviens bien, on ne sait pas si Hugues décide ou non de rendre publiques
ses images, et si ses enfants maintenant le trouvent cool. Mais pour ce qui est du réalisme du film, disons que la recette fonctionne. On a envie
d’y croire.
En
faisant le chemin du retour, je regardais le trajet d’une façon particulière.
Malheureusement, le soir, mon appareil photo teinte ses prises de vue d’un
désagréable jaune.
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