7/14/2012

Le départ : 15 et 16 mai





 
En me levant aussi tôt, je pensais avoir le temps de tout faire, de manger, mais je me suis mis à relire les travaux que j'allais remettre, et puis à ce moment-là c'était inévitable d'ajouter quelques corrections. Vers dix heures, j'ai réveillé Caro, et son frère qui était en visite, qui est super calé en bouffe, et en voyage à long terme. Alors David a inspecté mes bagages. Nous avons vidé mon backpack sur le lit, et puis ça me rassurait de savoir que je n'allais manquer de rien. Bon, la lampe frontale de mon beau-frère aurait pu me servir pendant le trekking que j'envisageais de faire, mais il était un peu trop tard pour aller la chercher à Saint-Jean. Finalement, David m'a donné un petit cours sur le port du backpack. En fait, je n'avais aucune idée de comment me servir de toutes les courroies qui pendent après mon sac. Alors, j'ai appris qu'une ganse sert à choisir si l'on veut notre sac plus ou moins près du dos, qu'une autre peut régler la hauteur du sac, et tout, et tout. Non seulement il m'a aidé à gagner de la place de rangement dans mon sac, mais je crois que David m'a aussi évité quelques maux de dos. Le jour d'hier, j'avais l'impression que mon backpack pesait 50 livres alors qu'il n'en faisait que 30, et puis après l'avoir mis sur mon dos, pour voir si les courroies étaient de la bonne longueur pour moi, après quelques ajustements, tout le poids s'est retrouvé non pas sur mes épaules, mais sur mes hanches. Et mon dos recourbé était maintenant bien droit, c'était parfait. Merci !

Et on oublie le déjeuner, David doit se sauver pour le travail. Il est peut-être 11 heures. Et je reste dans la chambre avec ma Caro, devenant auprès d'elle un félin fatigué. On se colle, on se parle, le temps passe, pas de problème. On se dit qu'on va aller déjeuner chez Dame Tartine, avant de partir pour Montréal. Et les plans changent, vu l'heure, et surtout vu qu'on ne sait pas du tout de quoi aura l'air la route ce mardi-là, et surtout vu que je dois aller à l'Université remettre mes travaux. Alors on se dit qu'on mangera une fois à Montréal, une fois sur la route... Caro? je trouve pas de grosse enveloppe ! On arrêtera au travail de ma mère, elle me dit. Il est peut-être une heure de l'après-midi quand on embarque dans l'auto. (Mon départ est à 19h50, juste pour dire qu'on se fait du souci pour rien.) On attrape un peu de trafic sur la 40 ouest, en direction de l'UdeM. Vers 14h15, on se stationne vis-à-vis le pavillon Jean-Brillant. Je prends ma douzaine de livres bons pour la bibliothèque, et quelques travaux en copie papier bons pour le casier de mes professeurs. Je mets de l'argent dans le parcomètre. Puis, cette fois on se dit wow. Ok, on va aller au café de Droit manger un peu. Fini le repas, je profite de la table pour écrire mon adresse sur les enveloppes oranges. Je tache le verso de la première enveloppe du peu de sauce que j'avais échappé. Pas grave. J'y mets les timbres,  puis fais part de mon plan à ma brune. « Ok, je n'ai pas mis assez de sous dans le parcomètre. Alors attends-moi à l'auto, et je file à la bibli remettre mes livres, je passe par le sous-terrain, et monte au 8e porter mes travaux ». Caro se dirige vers l'auto, pendant que je cours dans les couloirs désertés, me rends à la bibli et tout, et tout. Personne ne m'a vu, bien.

Ne sachant pas trop ce qui était le plus préférable à faire, je me suis dis que le plus rapide serait de prendre la Côte-Sainte-Catherine jusqu'au métro Guy-Concordia, pour ensuite prendre l'autobus expresse pour l'aéroport. Je crois qu'il n'était pas tout à fait 15 heures quand ma brune et moi nous sommes dit aurevoir. Après les jolis mots échangés, les baisers, les quelques larmes, je traversais la rue, le cœur encore dans l'auto, puis je me suis trouvé plutôt nul, en regagnant rapidement l'auto, pour demander à ma copine « est-ce que je peux te piquer cinq dollars... ? », avec l'accent ridicule que je prends quand je suis gêné. J'avais dépensé mes derniers bidoux au café de Droit, et le billet d'autobus n'est pas donné...

J'ai attrapé le départ de 15h30, qui était un peu en retard, mais c'est celui-là que je voulais prendre, puisque, paraît-il, parfois le trajet prend plus d'une heure à faire. Je voulais arriver à l'aéroport trois heures à l'avance, tel que suggéré. L'autobus était déjà bondé quand il est arrivé au métro Lionel-Groulx. J'ai pu mettre mon gros sac à dos dans la soute à bagages, mais j'ai fait le trajet debout, regardant droit devant moi la route sur laquelle nous étions pratiquement seuls à rouler. Pas plus de trente minutes plus tard, je me trouvais à l'aéroport Pierre-Elliot-Trudeau, presque quatre heures en avance.

Et je cherche un peu la section Air Canada pour l'enregistrement des bagages. Juste à côté, une petite machine qui me permet de prendre mon billet. Puis je fais la file, nous ne sommes pas plus d'une dizaine à attendre pour enregistrer et peser nos bagages. Pas plus d'une dizaine à attendre pour passer les douanes canadiennes. Cette fois on m'interpelle. Après avoir passé sous l'arche du détecteur de métal, quelqu'un a voulu passer un Q-Tips mouillé sur mon chandail et mes souliers, pour je ne sais quelle étude bactériologique. Résultat : je suis trois heures à l'avance, non seulement à l'aéroport, mais en face de ma porte d'embarquement, qui n'ouvre que 45 minutes avant l'heure de départ. Alors je me suis promené dans l'aéroport, faisant des va-et-vient entre les restaurants, ne voyant rien sur les menus qui puisse me convaincre de m'asseoir. Je savais bien qu'il allait y avoir des petits repas dans l'avion, mais bon, après un moment, une salade au fromage de chèvre m'a rappelé à quel point j'avais faim (j'aime le fromage de chèvre). Puis j'ai téléphoné chez ma brune, qui n'était pas encore revenue de Montréal. Alors je continue à déambuler, m'assoit près d'une station Radio-Canada, écoute les nouvelles : déplaisantes. Le monsieur d'un kiosque de carte de crédit style kiosque fête foraine est venu à ma rencontre, pour me montrer du doigt sa belle roulette, qui rappelle la roulette de La poule aux œufs d'or. Je me suis dit peut-être que je peux gagner quelque chose. Mais, bien sûr, il fallait d'abord adopter sa carte de crédit. Et, finalement, il n'y avait rien à gagner. Alors je reprends ma promenade. Un moment il est peut-être 18 heures. Je réessaie de rejoindre ma brune. Cette fois c'est elle qui répond. Elle me dit que je lui ai donné le mauvais chemin pour le retour, que la rue Saint-Laurent était barrée. Oups. Mais elle s'est bien rendue quand même, il y avait un peu de trafic seulement sur le pont. Alors je lui raconte de quelle façon je suis rentré dans l'aéroport, comme une lettre à la poste, et que maintenant je devais m'occuper, en attendant que s'ouvre la porte d'embarquement. Elle me dit que je peux la rappeler si je veux, qu'elle est contente pour moi, qu'elle s'ennuie déjà.

Je suis allé m'asseoir en face de la baie vitrée qui nous permet de voir notre avion, j'ai pris une photo. Deux tout jeunes garçons, sont venus me rejoindre. Ils s'amusaient, bavaient sur la grande vitre, y collaient leurs doigts sales, je les regardais, je trouvais ça drôle. Leur maman est venue s'asseoir près de moi, elle lisait un livre, patiemment, j'ai décidé de faire de même. J'ai sorti de mon sac Le Diable au corps, de Raymond Radiguet, dont se serait inspiré André Béland, l'auteur sur lequel je base une partie de mon mémoire. Parfois, un des deux garçons venait s'appuyer sur le banc voisin. Je lui faisais une grimace, un sourire, il était mon complice ; il extériorisait ce que je ressentais en moi. Puis on a invité tous ceux qui possédaient un siège au fond de l'avion à se présenter à la porte d'embarquement. Par chance je me trouvais dans cette catégorie. J'étais bien décidé à terminer mon livre, de toute façon je ne pouvais pas regarder à mon aise par la fenêtre, étant plutôt près de l'allée. Le temps de me dire qu'en Europe il était tard, que je m'étais levé pas mal à l'heure de l'Europe, je sommeillais déjà.

Une des agentes de bord me réveille subitement : « Bonsoir monsieur ! Que voudriez-vous  manger ? Des pâtes ou du poulet ?
-       Euhm... Oui, désolé, des pâtes s'il vous plaît. »
Et elle s'adresse à mes voisines. Nous avons même droit à une petite bouteille de vin. Alors je dis à ma voisine : « Tiens, c'est nouveau, maintenant chez Air Canada, on a droit à une bouteille de vin ». Et il n'en fallait pas plus pour démarrer la discussion. Ma voisine Clara étudie à l'Université de Montréal, fait sa maîtrise en Communications, avec une approche littéraire, et vient tout juste de remettre, elle aussi, quelques travaux afin de quitter le Québec le cœur léger. Elle retournait chez elle, à Paris, et allait revoir son copain, qu'elle n'avait pas vu depuis dix mois (si, ils s'étaient vus, quelques jours au mois de mars, mais c'était trop peu...). Puis, la question : « Toi, tu vas où ?
-       En fait, je le réalise pas encore, mais, je m'en vais à Cannes. J'ai eu une invitation pour le festival.
Et je lui dit comment je suis content de parler à quelqu'un, comme s'il fallait que je le dise, pour le réaliser. Puis je me suis intéressé à ce que Clara lisait : La Naissance de la tragédie, de Nietzche. Chacun s'intéressait au sujet de maîtrise de l'un, aux lectures de l'autre, jusqu'à faire de nombreux liens entre certains auteurs, entre nos sujets de maîtrise, comme quoi mon projet d'écriture, qui a pour essence une reconquête identitaire, a pour problématique également le côté imaginaire sinon fantasmatique d'une construction identitaire. Clara s'intéresse, grosso modo, à l'identité que se forgent ceux qui participent à des jeux de rôle, alors nous avons parler de « masque », s'étant tous deux intéressés aux travaux de Hoffmann*. Puis nous avons dormi et lu en alternance, jusqu'à arriver à bon port.

Comme tous les deux avons enregistré nos bagages très tôt, nous avons dû attendre le dernier convoi de bagages, ce qui nous a permis d'angoisser un peu. Je préférais laisser Clara seule, finalement il ne restait plus que nous deux qui attendions. Un moment, enfin, j'ai retrouvé mon sac à dos, et j'ai pu prendre le chemin de la gare, puisque je devais attraper le train d'onze heures pour Cannes. L'aéroport Charles-de-Gaule est pour le moins énorme, disons que j'en ai profité pour me familiariser avec mon sac sur les épaules, le temps de me rendre à la gare. Et voilà la petite machine pour faire imprimer mon billet, je composte mon billet, puis il ne reste qu'à attendre encore une trentaine de minutes avant de monter dans le train grande vitesse. Le trajet allait prendre six heures. Je les ai passées à lire et à sommeiller, encore, ce qui m'a permis de terminer mon livre. Le train prenait un peu de retard à chaque arrêt, ce qui rallongea le trajet d'une bonne heure. En sortant du train, une fois à Cannes, un monsieur se plaignait du retard. « C'est toujours comme ça depuis Margaret Thatcher ! », puis il renchérissait sur le fait que les trains français ont été privatisés, et que ça n'avait pas changé grand chose, voire que ça s'était empiré. « Habituellement, quand on privatise, ça va mieux ! En tout cas, on va bien voir avec Hollande comment ça se passera ».

Et je quittais le train, heureux simplement d'être à destination. Je m'étais fait imprimer un petit plan de la ville, qui me disait d'aller vers le bord de l'eau, puis de cheminer vers la gauche pendant un kilomètre environ, ce que j'ai fait. Je commençais à sentir sous mon sac mon chandail s'imprégner de sueur quand j'ai demandé à un motocycliste si le Collège International de Cannes était bien par là. « Oh, pas du tout ! Il est de l'autre côté, mais c'est loin, à pied ! ». Bon, alors je prends le sens contraire, et me fraye à nouveau un chemin entre la foule qui se condense de plus en plus lorsque l'on approche du palais des festivals. Puis je vois quelques autobus, je demande au conducteur si celui-là passe par le Collège International de Cannes, et il me dit que oui. La ligne un et la ligne deux passent par là. Pour un euro, donc, j'allais me sauver un peu de marche. Il n'y avait presque pas assez de place pour moi, je me tenais debout, mes bagages entre les jambes, et me collait contre la masse lors des virages plus abrupts. Le Collège était tout près du troisième arrêt. Le monsieur de la réception m'a expliqué tout ce que je devais savoir à mon arrivée, puis en me montrant par où monter jusqu'à ma chambre, j'ai vu un grand marocain, qui m'a demandé si je ne me rendais pas par hasard à la chambre numéro 15. Alors j'ai compris qu'il s'agissait de Saïd, qui revenait du centre-ville en même temps que moi, et qui allait être mon coloc pour les 12 prochains jours. Saïd a remporté il y a quatre ans un concours de court métrage, ce qui lui avait permis tout comme moi d'être invité au festival de Cannes. Il revient à Cannes chaque année depuis ce temps-là, et René Lefeuvre l'invitait cette année à partager ma chambre, afin qu'il me conseille et me partage ses expériences. Une fois dans la chambre, nous avons parlé un moment, puis je voulais aller au centre-ville, et lui devait faire le montage de sa première émission de radio. Cette fois Saïd profitait de son séjour à Cannes pour réaliser une émission de radio, diffusée sur l'Internet de façon quotidienne. Habituellement, il joue le rôle de directeur artistique, mais son idée d'émission avait été acceptée. Intitulée Le Parcours d'un festivalier, son émission faisait le portrait de gens de tous horizons, rencontrés sur le site du festival ; professionnels du cinéma, vendeurs de poissons, restaurateurs, docteurs en vacances, acrobates, amuseurs de foule, et cætera.

Alors je suis allé jeter un coup d'œil au centre-ville. Une des premières choses que j'ai faite : m'acheter un paquet de cigarettes (je fume toujours en vacances). Puis, chose étonnante, quand je me suis adressé au garçon qui tenait le dépanneur, on m'a répondu en anglais. Ses amis lui ont vite dit : « Quoi, t'as jamais entendu parler Québécois ? ». Et le gars du dépanneur s'est moqué pratiquement de mon accent, avant de me demander : « Quand tu parles, tu n'as pas l'impression d'avoir un accent ?
-       Eh bien, non... je suis né et j'ai grandi avec cet accent-là.
Alors, me prêtant au jeu, je lui demande, avec l'accent le plus américain que je connaisse : « Anyways, do you have any matches ? ». Il me regarde, ahuri. Je répète, plus tranquillement : « Auriez-vous-tu des allumettes ? ». Son ami : « Des allumettes, il te demande si tu as un paquet d'allumettes pour lui.
-       Ah... ! Oui, oui ».

Je ne me suis pas rendu directement au palais des festivals. Je suis allé fêter mon arrivée en mangeant du poisson et en buvant du Muscadet dans un restaurant (je suis allé exactement quatre fois au restaurant durant mon voyage, sans ça c'était l'épicerie ou du fast food). Et quand je suis allé au palais des festivals, m'arrêtant d'abord au théâtre Debussy, les journalistes et les touristes avaient désertés les tapis rouges. En fait, ce soir-là il n'y avait rien d'autre à part la présentation du film Moonrise Kingdom, à laquelle il fallait être invité. Si, il y avait probablement des films projetés dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, mais je n'avais ni ma passe, ni les informations qu'il fallait pour y assister. J'en ai profiter pour prendre des photos, dont une sur le tapis rouge du théâtre Debussy. Puis, je me suis rendu au théâtre Louis Lumière, là où avaient mis les pieds un moment plutôt Wes Anderson et sa bande. Ce tapis rouge-là, même s'il n'y avait personne, on ne pouvait pas y aller, des barrières nous en empêchaient. J'ai pris quelques photos, dont une de la grande affiche de Marilyn Monroe, et d'autres des bars et des restaurants où tout le monde s'était dirigé.

Pour revenir au Collège, j'ai préféré prendre le chemin au bord de la mer, allant mettre les pieds dans l'océan qui me séparait alors du Québec. Quand je rentrai, il était peut-être minuit, et Saïd était loin d'avoir terminé le montage de son émission. Je me demande s'il a dormi cette nuit-là.

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