7/16/2012

Deuxième jour à Cannes : 18 mai







 
Ce matin, mon deuxième réveil à Cannes s’est fait de façon fidèle à mes habitudes ; en me levant en retard, vers 8h15 plutôt qu’à 8h07, alors j'ai pris ma douche en me dépêchant, pour attraper le petit-déjeuner à temps. Un jeune américain s’est assis à ma table, un producteur arrivant de Los Angeles, qui a su trouver le tuyau qui permet de bénéficier du Collège International de Cannes, sans suivre de cours de Français, tout en ayant la possibilité d’atteindre le centre-ville à pied, en 20 minutes.

Il m’a dit que les films québécois étaient de plus en plus présents dans les petits festivals de Los Angeles, et que des films comme Polytechnique étaient appréciés. Lui, ce qui l’intéresse en fait, c’est surtout les films d’arts martiaux.

L’heure du repas étant finie depuis un moment déjà, je me suis dit que j'allais regagner ma chambre et faire comme lui, me vêtir plus chiquement ; j’avais le goût de remettre l’habit que je n’avais pas porté depuis le bal, et d'ainsi profiter du fait que je puisse me pavaner à la Reservoir Dogs.

Un peu avant 10 heures, je gagnais une place de choix parmi la file d’attente pour Beasts of the Southern Wild, qui débutait à 11 heures, salle Debussy. J’ai bien aimé. C’est un film dont le récit est guidé par les imaginations d’une fille de cinq ou six ans, qui a perdu sa maman, qui à la naissance de la petite Hushpuppy avait préféré quitter la famille, et le bathtub, une espèce de ghetto, une petite ville qui menace chaque jour d’être inondée. Le film répond bien à celui que j’ai vu hier soir ; Los Salvajes (Les Sauvages), quoique fondamentalement différents. Disons qu’ils se rejoignent surtout sous le thème de la sauvagerie, mais s'opposent par le fait même. L'un des récits s’élabore autour de jeunes en cavale, qui ne se font aucun souci de tuer, pour tuer ou pour manger, guidés par une loi de la nature inhumaine, sans pitié, bestiale. Et, au final, personne ne survit. Dans le second, la recherche de liberté pousse également les personnages à vouloir vivre de façon sauvage, voire de façon animalière. C'est d'ailleurs en comparant les animaux aux humains que l'on éduque les enfants du bathtub. Nous ne pourrions tout de même pas parler d'espoir pour les habitants du bathtub, qui doivent lutter constamment pour leur survie, et pour leur liberté. Mais il y quelque chose de positif, de constructif dans ce mode de vie, contrairement à celui des personnages de Los Salvajes. Puis, le jeu de la petite Hushpuppy est tout simplement touchant. On a envie de se prêter à ses illusions, et aux illusions de son père, qui sait n'avoir plus longtemps à vivre, et qui éduque sa petite fille afin qu'elle puisse grandir seule, et qu’elle soit elle aussi in control, the man, comme lui, qui, malgré les tempêtes qui détruisent tout, et inondent les shacks, croit en sa liberté, celle qu'il a dans le bathtub, en dehors de la société.

À la fin de la représentation, après trois minutes d’applaudissement, sous les projecteurs, le jeune réalisateur a soulevé la petite actrice, pour que tout le monde la voit, et sa gêne l'a fait recroqueviller. De toute beauté. J'ai pris une photo. Après je suis allé au bureau de poste, qui n’ouvrait ses portes qu’à 14 heures. J'avais une heure à attendre. Alors le jeûne que j’avais prévu, puisque je n'avais pas le temps d'aller dîner au Collège, s’est réduit à un sandwich trois fromages, avec un 7up. Le tout pour 5 euros, et un pain baguette en entier en plus. Puis une dame de la poste m’a conseillé. Pour 45 euros, je peux envoyer un colis de 7 kilos n’importe où au Canada, et l'assurance pour une valeur de 100 euros est comprise. C’est parfait, mes vêtements chics et les deux livres dont je n’ai plus besoin font le poids et la valeur prévus ; alors je pourrai me départir de mon sac cannois lorsque je continuerai ma route vers Rome.

Ensuite, je suis allé me promener parmi les chapiteaux des pays qui présentent un film à Cannes. Je me suis dirigé à nouveau vers le chapiteau québécois. À ce moment-là j'ai réalisé que le chapiteau du Québec doit bien être le seul pavillon qui ne soit pas celui d’un pays mais celui d’une nation. Cool. Il commençait à pleuvoir, j'allais donc voir qui s’y étaient réfugiés. Je me suis assis à une table. Il y avait un groupe d'une dizaine de personnes qui interviewait Chloé Robichaud, quelques hôtes et hôtesses, et un homme et une dame, sur la terrasse, qui bientôt allaient me réclamer la seule table qui auparavant n’était pas prise, la mienne. C'était peut-être la seule qui n'était pas touchée par la pluie, et bon, je venais tout juste d'arriver, et eux semblaient devoir discuter quelque peu sérieusement.

Je la leur cède donc, de bonne foi, et décide de me rapprocher de l’entrevue, ce qui me permet de demander un verre d’eau au barman. Guidé par ma soif, je me suis fait remarquer par l’homme qui accompagne les jeunes. Il me salue de la main, puis ajoute : « Tu devrais enlever ton carré rouge ; Monsieur, qui est là, nous a menacés de nous prendre en photo et d’envoyer ça à son ami Jean Charest ». Ce à quoi je réponds, me faisant entendre de tout le monde : « Je peux me défendre, je suis ici gratuitement ! ». Sur ces douze syllabes prononcées, l’interview reprenait. L'un d'eux, à l'écart, m'apprit que le groupe était formé d’un professeur et de ses élèves du Cégep Bois-de-Boulogne. Ils avaient amassé des fonds au courant de l’année, afin de terminer leur formation en beauté. Tout comme moi, il y a longtemps qu'ils avaient prévu ce voyage, et rien ne les aurait empêché d'aller à Cannes ; ni une période d'examens, ni une grève étudiante... L'entrevue achevée, venant tout juste d’arriver au festival, ils quittaient le chapiteau afin de voir leur premier film. Quant à moi, j’ai marché un peu, pour retrouver la salle du Soixantième vers 15h30, afin de voir Mekong Hotel, la séance de 17 heures étant assistée du réalisateur, Apichatpong Weeasethakul, celui qui a gagné la palme d’or en 2010.

Vers la fin du film, quatre ou cinq personnes de ma rangée dormaient, bien en vue de l’équipe du film qui pourtant ne durait qu’une heure. Je ne sais pas si c’est une des dernière scènes du film qui m’a fait cet effet, et qui a endormi les autres (un plan séquence de cinq minutes environ, lors duquel des sea-doo font des va-et-vient sur la rivière Mekong ; le courant de l’eau proposant la continuité de la vie, disait le réalisateur, alors que les cheminements des sea-doo, créant des vagues, représentaient selon moi le cheminement de la pensée et des souvenirs), mais à mon retour (cette fois je ne voulais pas rater le dîner offert par le Collège, à 19 heures) je me suis perdu dans une suite d’idées, dépassant le Collège d’une centaine de mètres.

Je pensais à ce monsieur de tout à l’heure. Je me suis demandé, encore une fois, si je devais me sentir mal d’être à Cannes, avec mon carré rouge (vous savez, l'argument de Martineau, qui nous dit que si nous ne mangeons par du Kraft Diner matin midi soir, et que si on a un iPod, ou un Martini à la main, et bien on est capable de se greyer d'une hausse de 1625 $). Et voilà, je me suis révolté, je me suis dit « NON ». Marre du silence dont j’avais entouré mon départ, marre d'avoir porté une cravate devant les cégepiens habillés plus modestement (parce que ce n’est pas tout le monde qui incarne la mégalomanie du Cinéma), marre de me dire que je suis privilégié, de me dire que j’ai eu de la chance, me refusant de croire que la critique que j’avais faite sur Nuit #1, le premier long métrage de Anne Émond, ne me méritait pas un séjour à Cannes, alors que Anne Émond n’y a peut-être jamais mis les pieds. Et marre de me dire Enfant gâté, ce que je sais ne pas être. Et je me suis retrouvé. À prendre le dîner vers 19 heures comme prévu.

Deux jeunes et jolies brésiliennes se sont assises à ma table, puis une américaine bien en formes et choquée de ne pas avoir vu le film apocalyptique, poétiquement, ajoutais-je, que moi, chanceux, j’avais vu. Il s’agissait de Beasts of the Southern Wild. C’est la première fois que j’échangeais avec les étudiantes du Collège, et que je pouvais parler, quelque peu fièrement, du pourquoi je me retrouvais ici. Et une marocaine s’est assise cette fois directement devant moi, moi qui pourtant avait troqué mon costume pour un vulgaire T-shirt.

Alors on a parlé, et l’heure passait. J’avais prévu aller voir Aliyah, mais, à ma grande surprise, je suis plutôt allé voir le film d’Xavier Dolan. Et ce sous escorte brésilienne, russe, et cannoise. Caroline, une des deux brésiliennes, avait un rendez-vous galant avec le fils d’un restaurateur, qui avait trouvé des invitations pour elles, et une place pour moi dans sa voiture. Après 1h15 d’attente, c’était le moment de monter les marches, et pas celles du Grand Théâtre Louis Lumière, mais du théâtre Debussy, auquel je commençais à me familiariser. Sur le haut des marches rouges, ayant cru devoir me dépêcher afin de rejoindre le groupe, je me suis rendu compte qu’ils avaient disparu. Je regarde derrière, mais ne les vois pas. Soit ils ont escaladé drôlement vite les marches, soit leur billet ne leur permettait pas de rentrer. Et non, ils n'ont pas pu rentrer, car leur invitation avait le même statut en fait que l'accréditation de cinéphile...

Cette fois j’étais au balcon, un peu mieux placé que pour le film The Student. Lorsque j'ai vu le présentateur, le bras droit du président du festival, Thierry Frémaux, monter sur scène vêtu d’un carré rouge, j'ai pratiquement échappé mon appareil photo (prêté par mes parents). Je n’en croyais pas mes yeux. Thierry Frémaux explique alors, dans une de ses premières phrases d’introduction au film, qu’il trouvait le moment approprié, tout comme Xavier Dolan et son équipe, de porter le carré rouge, et d’ainsi manifester son soutient au mouvement des étudiants québécois. Fébrile, après avoir pris une dizaine de photos floues, je montre mon carré rouge à mon voisin, comme quoi, moi aussi, j’en porte un. Mon voisin me demande ce que ça signifie, ce carré rouge. « Le carré rouge en fait, c’est pour dire non à une hausse de 75% des frais de scolarité, que le gouvernement souhaite nous infliger, et aussi le rouge parce que c’est la couleur du parti au pouvoir, les libéraux, alors, paradoxalement, pour nous y opposer, on utilise leur couleur, et l’idéologie qu’ils ont eu un moment.

Et, suite à quelques remerciements de la part du jeune réalisateur, le film commence. J’ai tout simplement adoré. C’est, je crois, le meilleur film d’Xavier Dolan. Mon horizon d’attente s’était simplement basé sur le sujet par lequel on résume le film ; le changement de sexe d’un homme. D’autres s’attendaient à un film humoristique, je me demande pourquoi. Toujours est-il que le film s’inscrit dans un discours beaucoup plus large, celui de la marginalité, et dans un contexte qui est celui du Québec des années 1980 et 1990. Je ne sais pas si c’est voulu par Xavier, mais j'ai spécialement aimé le moment où Suzanne Clément donne un char de marde à Denise Filiatrault, qui joue une vieille serveuse. Pris hors contexte, pensant plutôt à la génération que représente Denise Filiatrault, bien que je n’ai rien contre elle ni contre personne en particulier, j'imaginais la génération de Suzanne Clément se révolter contre celle qui promettait de « libérer » le Québec, faisant des mouvements libéralistes quelque chose de répandu, alors qu’en 1980 et 1990, comme aujourd’hui, rien n’a vraiment changé. De simples cris de liberté, de simples actions, sont interprétés comme marginaux, donc décadents, voire terroristes. 

Bien que le film puisse nous permettre d'interpréter ce changement de sexe comme un acte de narcissisme déplacé ; Laurence aimerait se contempler comme il/elle contemple les femmes*, n’empêche que ce changement de sexe est un exemple de changement, marginal, drastique, certes, qui cause des remous, attire quelques claques dans face, mais au moins le changement s'accompli, et Laurence est devenue ce qu’elle était née pour être. (On doutera que le personnage ne change pas de voix au cours du film, mais ce n’est pas grave.) C’est probablement ce qui m’a plu, au fond ; ce discours qui fait écho de façon plus générale aux mouvements libéralistes.

Et ce qui me plait d'autant plus, c'est qu'on peut comprendre Laurence, voire que l'on peut se réjouir pour elle/lui, d'avoir accompli ce changement. Parfois on dit que les spectateurs sont plus réceptifs, plus intelligents, plus empathiques envers un personnage de film, que lorsqu'ils sont en présence directe, réelle, avec ce même sujet. En fait, je crois que c'est la façon que l'on présente un film ; situation initiale, changement de situation, et cætera, et cætera. Alors on est au courant du contexte, et des motivations du sujet ; on peut faire preuve d'indulgence.

Alors qu’un simple carré rouge peut être perçu comme mal placé, disons à Cannes, disons comme une balle de caoutchouc perdue, comme une énorme amande qui puisse nous faire penser deux fois avant d'aller manifester, on oublie à quel point nous, étudiants, nous sommes animés par une volonté de changement exemplaire. Que derrière notre carré rouge, nos prises de parole et nos organisations donnent probablement un des exemples les plus démocratiques à travers le monde ; personne ne se fait sacrer dehors et tout le monde a le droit de parole dans une assemblée générale. Il faut le voir pour le croire.

Et, je pensais à ma situation, encore. Et au contexte de ma présence à Cannes. Moi qui me sentais comme un déserteur, je me disais que quitter le Québec, c’était quitter l’assemblée, renoncer à mon droit de parole, mettre fin à ma prise de position. Je ne suis probablement pas le seul à avoir eu honte de prendre des vacances, par obligation disons. Mais quand on le prend cet avion, qu’on le fait ce voyage qu’on attend depuis quatre ans, parce qu'il est impossible de prendre des vacances pendant un bacc, quand tu travailles 20 heures par semaine comme busboy dans un Vieux Duluth. Parce qu'il faut bien négliger ses études pour se donner un peu d’autonomie, de liberté. Parce que même si tu ne vis pas chez tes parents, le gouvernement ne te concède pas cette autonomie, en t'autorisant une part convenable de prêts. Et c'est seulement quand tu as terminé ton bacc, quand de toute façon tu n'as pas le choix de continuer, quand après six ans de bons et loyaux services, tu te fais consacrer serveur, que te gagne l'envie de poursuivre tes études et de vivre la vraie vie d'étudiant, que tu peux te départir de ton uniforme, que le gouvernement t'accorde l'autonomie dont tu avais besoin. Et c'est là, une fois autonome, libre, payé, disons, pour étudier, que tu te mérites un stage à Cannes ; un tout inclus, pratiquement. En plus, vu que t'as travaillé pas mal, que t'as gagné 12 000 $ l'année passée, tu vas recevoir un retour d’impôt de 1000 $, ce qui va te permettre de rester plus longtemps en Europe, et de profiter des 750 $ que le gouvernement te donne par mois (donnés au 2/3, parce que cette année tu ne fais qu'étudier) pour voyager pendant presque deux mois, pour penser au roman qui deviendra ton mémoire de maîtrise.

Alors je le porte ce carré rouge. Sur le cœur et sans honte. Puisqu'il est tributaire de mon identité, de mes idéaux. IL EST MA LIBERTÉ !!! 

Mais, voyons, Renaud, reviens sur terre...

Je vais revenir, mais entre-temps, j’en profite. J'espère même qu'au moment de quitter ce rêve  je puisse être aussi épuisé que pouvait l'être Xavier quand il allait redescendre à la hauteur du sol, quand, tiré par son équipe, après une trentaine d’entrevues, je lui disais : « Xavier, je crois qu’ils y a des gens du Québec qui aimeraient te parler », me permettant de le tutoyer, afin de l'inviter à rejoindre un moment le groupe de cégepiens, qui voulaient lui parler, mais qui avaient figés, laissant presque partir celui qui allait permettre à leur stage d'avancer.

Et c'est de ce moment-là dont je veux me rappeler, soit lorsque la majorité des jeunes Québécois à Cannes étions réunis (le trio qui présentera son court métrage Valse au Short Film Corner, dimanche le 20 mai, à 17 heures, le groupe de cégepiens, Xavier Dolan et moi) et que, fasciné par notre cortège, sur le haut des marches du théâtre Debussy, malgré la mise en garde de Monsieur, je constatais que le carré rouge était majoritaire.

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