7/24/2012

Cinquième jour à Cannes : 21 mai






            Ce lundi-là j’étais bien décidé à passer une journée digne des cinéphiles les plus assidus. Je me suis levé vers 6h30, me disant que j’allais arriver à temps pour Hors les murs, le premier film de David Lambert, présenté à la salle Miramar à 8h30. Le buffet du petit-déjeuner n’était servi qu’à 7h30, donc j’ai filé en direction du palais des festivals en me prenant sur la route quelque fruit et pâtisserie. Puis, mon escale au stand d’expresso fut inutile, puisqu’il n'ouvre ses portes qu’à 9 heures. Tout de même, après un bon trente minutes, sinon quarante minutes de marche, j’ai pu atteindre la salle Miramar, qui est la plus éloignée du Collège. Mon empressement, me faisant arriver près d’une heure à l’avance, n’a pas été opportun ; j’ai gagné une bonne place, mais il y avait tant de sièges libres que j’aurais bien pu arriver 5 minutes à l’avance, et ce serait revenu au même, sans avoir à débourser pour le petit-déjeuner.

            Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en allant voir Hors les murs, une co-production franco-québécoise, sinon que c’était là la première œuvre d’un jeune cinéaste, vu la participation de son film au concours La caméra d’or. Encouragé par ma dernière expérience à la salle Miramar, je tentais donc le coup à nouveau. J’ai apprécié spécialement le fait qu’on aborde dans ce film les drames d’un couple homosexuel de façon humoristique. Je me souviens par exemple de cette scène où, décidés à prendre une chambre d’hôtel, les deux tourtereaux attendent une réponse du réceptionniste, qui mal à l’aise, tarde à leur donner le OK. Lorsque l’un d’eux reçoit finalement la clé, il interpelle le réceptionniste du genre : « Ça vous dirait de monter et de passer la soirée avec nous ? ». Avant de pouffer de rire. Puis je pense à cette scène où, dans une pharmacie, ils ne trouvent pas de condoms, et ils font un tollé avec ça. L’un d’eux va même prendre l’interphone pour dire : « Salut tout le monde, moi et mon amoureux, nous sommes gais, vous comprenez, et pour passer une agréable soirée, nous aurions besoin de CONDOMS, alors si vous voulez bien nous aider à en trouver, pour qu’on puisse baiser ce soir, ce serait bien gentil, merci ». Et tout le monde dans le magasin trouve ça drôle, le petit copain à côté est gêné. Et c'est pour ce genre de blague, je crois, que le film a été apprécié. Par contre, vers la fin, une certaine lourdeur dramatique en a découragé plus d’un.

            Puis je me suis rendu à la salle Debussy pour le film Djeca (Les Enfants de Sarajevo), sélectionné dans la catégorie Un certain regard. C’est avec une fébrile modestie qu’Aida Begic est venue présenter son deuxième film, coiffée d’un voile. Djeca aborde de l’intérieur les répercussions de la guerre civile qui eut lieu en Bosnie-Herzégovine dans les années 1990, et plus précisément en sa capitale, Sarajevo. Ce n’est pas un film politique, mais plutôt un film sur la relation d’une sœur et de son plus jeune frère, qui, orphelins, sont aux prises avec différents ennuis. L’histoire débute avec le frère qui lors d’une altercation à l’école brise le iPhone du fils d’un important homme politique. Celui-ci demande réparation, sans quoi la petite famille serait menacée de représailles. Même si un iPhone équivaut pour elle à une semaine de salaire, la sœur s’engage à en obtenir un nouveau pour celui qui n’était pas vraiment la victime dans l’histoire. Au cours du film la relation entre le frère et la sœur ne fait que s’envenimer, puis, au final, alors que le destin de chacun d’eux est critique, voire que la prison attend probablement Rahima, ils se réconcilient. Peut-être est-ce dû au fait que je ne comprenne aucunement la langue bosnienne, et donc que j’ai eu à faire tout au long du film à un sous-titrage qui le plus souvent, désolé, laisse à désirer, mais j’ai eu bien du mal à me plonger dans l’histoire. Je dirais par contre avoir apprécié les choix narratifs, par exemple le fait d’incorporer des images vidéo de la guerre civile, qui probablement avaient été diffusées sur les chaînes de télé, et qui nécessairement planent toujours et encore dans l’imaginaire de Rahima et de son frère. Puis, ne sachant pas trop quoi penser du film, je suis sorti de la salle Debussy, y oubliant mon parapluie.

            On m’a permis de retourner dans la salle, mais, pauvre de moi, toute recherche était vaine. On m’a dit de repasser le lendemain. Je suis allé prendre un expresso, puis j’ai fait le tour du Marché du film, allant prendre mes courriels et l’horaire de la journée. Le film de Hong Sang-Soo avait attiré mon attention, et je me suis dit que le moment était bien choisi afin de m’exercer dans la quête d’une invitation. Alors je me suis rendu où devait se trouver le comptoir où les professionnels qui ont un meilleur badge que moi retirent leurs invitations, ou bien vont les redonner quand ils ne peuvent pas assister à la représentation. (En fait, leur badge se distingue par le petit « R » rouge inscrit sur leur badge, ce qui indique qu’ils peuvent réserver et retirer une ou plusieurs invitations pour les représentations de la compétition officielle.) Le comptoir en question se trouve dans une petite salle où des ordinateurs sont mis à la disposition de tous ceux qui veulent faire des réservations, puis chacun peut ainsi se rendre par la suite au comptoir, pour faire scanner leur badge et imprimer leur invitation. Je regardais ainsi la salle s’animer, avant de me rendre au kiosque d’informations et y demander où je pouvais bien obtenir une des invitations qui avaient été redonnées. La dame du kiosque m’a désigné le fameux comptoir, devant lequel quatre ou cinq petites files étaient alignées. Je m’y rends donc, fais la première file, et après trois ou quatre personnes, demande à la dame s’il n’y avait pas une invitation pour le film de Hong Sang-Soo qui lui avait été remise. Puis, non. Alors je me retire. Aperçois au loin un distributeur d’eau. Prends un verre, remplis ma gourde. Et, un moment, un petit groupe se fait remarquer devant le comptoir ; ça discutait invitations en trop. Alors je m’approche, et finalement deux personnes font un échange d’invitation ; l’un deux avait deux invitations, mais pour deux films différents, et il souhaitait échanger l’une pour avoir un deuxième billet pour sa copine. Négatif... Je sens alors l’occasion de retourner au comptoir, mais préfère emprunter une autre file, pour parler à une autre personne. Je demande la même question, et on m’informe cette fois que les invitations en trop ne sont retournées qu’une trentaine de minutes avant la représentation. Bien. Alors je flâne un peu, me disant que j’allais revenir à ce moment-là. 

            Je retourne au comptoir donc vers 15h30, refais la toute petite file, m’adresse à celui qui m’avait donné un peu plus d’informations qu’une réponse négative, puis, encore, non. Le jeune homme me dit par contre d’attendre près de la file, ce que j’ai fait. Mais personne n’allait au comptoir pour remettre son invitation, on n’y allait que pour en retirer. Après quinze minutes, découragé, je me suis dirigé vers l’extérieur. Je me suis promené près du théâtre Louis-Lumière, constatant que j'étais loin d'être le seul à quêter pour une invitation. J’allais quitter le site quand j’ai vu trois personnes qui semblaient parler invitations en trop. Deux jeunes, et une autre avec une enveloppe. Lorsque je suis arrivé près du groupe, j’ai pu constater que l’enveloppe contenait trois billets bleus ; ce sont les invitations qui permettent d’entrer sans aucun badge. Je compris bien vite qu’il y en avait un en trop, donc un pour moi. « Vous n’auriez pas une invitation pour le film de Hong Sang-Soo... ? – Oui, bien sûr. Voilà. Mais il faut se dépêcher, la représentation commence bientôt ! ». En deux temps trois mouvements, je lui dis mille mercis et je me mets à courir vers la file d’attente. Il était 16 heures moins dix. Je doute que les deux autres aient pu rentrer. Ils ne savaient peut-être pas que la représentation commençait à 16 heures, parce qu’ils sont restés là à contempler leur billet. J’étais, je crois, parmi les dix derniers à pouvoir entrer. On m’a fait monter au balcon, où, dans les dernières rangées, bien en haut, j’ai pu trouver une place à l’extrême gauche. J’ai pris quelques photos de la salle de cinéma qui ressemble plutôt à un amphithéâtre vu sa grandeur. Beaucoup de gens n’étaient pas encore assis. Droit devant moi, deux personnes se chamaillaient, puisque l’un d’entre eux avait été aux toilettes, avait même laissé ses effets personnels sous son banc, et un autre avait pris sa place. La placière est arrivée, et, ne pouvant régler le problème, a fait conduire l’homme qui s’était fait piquer sa place vers le haut, vers les rangées les plus obscures de l’amphithéâtre.

            Avec un peu d’imagination, je me recréais l’atmosphère d’un événement sportif. Il ne manquait que les hot-dogs et les bretzels, une musique plus populaire et des accoutrements plus estivaux. Par contre, il y avait le grand écran. Plutôt que de montrer des spectateurs en délire, on y voyait ce qui se passait à l’extérieur, sur le tapis rouge. À ce moment-là, le grand écran nous tenait au courant de l’arrivée de Hong Sang-Soo sur le tapis rouge, puis de ses premiers pas à l’intérieur du théâtre, en compagnie de son équipe. Nous le voyions traverser le hall, puis les portes de la salle de cinéma, et tous les gens se sont levés pour l’accueillir, pour l’applaudir chaleureusement. Perché au haut du balcon, je ne voyais rien de mes propres yeux, mais comptais sur le grand écran pour m’informer. J’applaudissais moi aussi. Ce fut là un de mes moments préférés. Ce n’était plus une représentation cinématographique, mais un événement.

            Et les lumières se sont éteintes. Les logos de chacune des maisons de production ayant collaboré au film, habituellement célébrés par une ou deux personnes, cette fois se faisaient recevoir avec beaucoup d’énergie. Il y avait un atmosphère de foule. Puis le film commençait. Même si Da-Reun Na-Ra-E-Suh (In Another Country) se déroule en Corée, Isabelle Huppert y joue le rôle d’une touriste américaine, alors nous avons eu droit à des dialogues majoritairement en anglais, ce qui peut-être nous a permis de leur répondre par un rire à la fois sonore et naturel. Alain Resnais présentant la même journée son film Vous n’avez encore rien vu, il me semblait inévitable de comparer les répétitions narratives présentes dans In Another Country au film culte d'Alain Resnais, soit L’Année dernière à Marienbad. En fait, une dizaine de fois peut-être dans le film, la même histoire se répète, de façon différente. Voici les quelques éléments dont se composent les chapitres du film de Hong Sang-Soo : Il y a une jeune femme américaine qui arrive en Corée, afin de rejoindre son amant. Celui-ci a un empêchement de dernière minute, et ne peut se rendre à l’hôtel de façon immédiate. Parfois, elle l’attend, et rencontre un autre homme, qui se rappelle l’avoir embrassée, qui tente de la séduire à nouveau, et ce dans le dos de sa femme enceinte, qui l’attend dans une chambre de l’hôtel. Parfois, elle décide d’abord d’occuper son temps en se rendant au marché. Alors une jeune fille qui travaille à l’hôtel lui donne quelques indications, et de peur qu’il pleuve, lui prête un parapluie. Et elle se rend plutôt à la plage, où elle rencontre un lifeguard, ce qui donne lieu aux scènes les plus comiques. D’abord les tentatives de séduction de chacun d’eux sont vaines, puis les relations entre elle et le lifeguard, comme avec le futur papa, deviennent plus intimes. Un moment le lifeguard réussit à séduire la jeune américaine avec la chanson d’amour qu’il invente avec les dix mots qu’il connaît d’anglais, alors que le futur papa, réussit je crois à l’embrasser, et attire sur lui le mépris de sa femme et de son amie. Puis, le plus souvent, le tout se déroulant dans l'ordre et dans le désordre, l’amant tant attendu fini par arriver, ce qui marque chaque fois, mais différemment, la fin d’un chapitre. 

            J’étais emballé tout au long de cette comédie audacieuse, et je m’en rappelle comme un de mes films préférés vus à Cannes. Satisfait donc d’avoir vu trois films de trois pays différents, je me rendais au Collège en croyant ma journée complète. Je me suis allé à la salle d’ordinateur me disant que je réussirais peut-être à envoyer une lourde vidéo faite pour ma copine, lui montrant ma chambre et lui racontant mes quelques derniers jours, mais filmée en HD, et pesant plus d’un gigaoctet, donc prenant plus de deux heures à envoyer. J’avais déjà essayé sur le portable de Saïd, au stand du Marché du film, et puis cette fois la tentative n’a pas été plus concluante que les autres. Je devais abandonner l'ordinateur, inévitablement, et il arrivait je ne sais quoi, et le téléchargement s'arrêtait. Puis, ayant programmé le tout via wetransfer, c’est à ce moment-là que j’entends une énième fois parler d’invitation en trop. Une des étudiantes du Collège avait réussi à avoir une invitation pour la séance de minuit, mais comme c’était tard, et que ce n’était pas un film de la compétition officielle, elle souhaitait l’offrir à quelqu’un d’autre. D’abord elle le proposa à Caroline, qui était son amie et qui était la surveillante de la salle d’ordinateur, mais Caroline a décliné son offre. Je me retourne, la regarde, elle m’offre le billet, et, peu convaincu moi aussi vu l’heure de la représentation, j’ai accepté en hésitant peut-être deux secondes et demie ; comment refuser de vivre l’expérience du théâtre Louis-Lumière une deuxième fois dans la même journée ? Impossible.

            Je ne devais donc pas être pressé de prendre le dîner. Et devais savourer le plaisir d’avoir une seconde invitation bleue dans mes poches. Mais je ne me rappelle pas d’une discussion en particulier, et j’imagine m’être rendu encore trop tôt à ma chambre, pour me vêtir de mon habit de bal, ce qui n’était pas exigé pour la représentation de minuit ; seulement pour celles de 19h30 et de 22 heures. On m’avait parlé de Takashi Miike comme d’un réalisateur déjanté, ambitieux, marginal. Et de son film comme d’une comédie musicale. Je ne savais aucunement à quoi m’attendre. Arrivant un peu plus d’une heure à l’avance, me permettant un détour dans un bar afin de prendre un Johnny Walker sur glace, jouant la comédie jet set, j’ai pu être dans les premiers à prendre place dans la célèbre salle. Une si bonne place que j’étais à deux pas de la rangée un peu plus spacieuse que les autres ; celle où allait s’asseoir l’équipe du film. J’ai bien sûr pris une photo, puis, à l’arrivée du cortège, ne sachant pas trop qui était Takashi Miike, j’ai attendu de lui un signe, me disant ensuite que c’était le petit monsieur arborant l’air grave. En fait, ils avaient tous un air assez grave, comme s'il était naturel pour eux, tels des samouraïs, de répondre au stress avec sang-froid. Je n'avais pas du tout le même tempérament, puisque les photos que j'ai prises sont floues, ce qui ne peut s'expliquer que par mon énervement ; je n’étais pas si loin d’eux, et disons qu’il ne manquait surtout pas de source de lumière.

            Tous les spectateurs étaient prêts et bien habillés quand on a vu les premières images du film. Plus sanglant que les plus sanglants Mangas, Ai To Makoto (For Love’s Sakes), débute par un carnage, celui d’un jeune rebelle qui s’en prend à une colonie de malfrats, pour on ne sait quelle raison. Puis, une jeune fille qui s’est méritée quelques coups de pieds au visage tombe amoureuse du jeune rebelle portant une cicatrice au front. Elle croit que son amour pourrait assagir Makoto, qui, intraitable, ne sait vivre qu’en répandant force coups de point. Ai, fille d’aristocrates, fait transférer Makoto dans son école, pensant qu’une meilleure éducation saura calmer ses ardeurs. Ce qui choque celui qui aime profondément Ai. C’est un film de genre auquel je ne suis pas habitué, qui a priori ne m’intéresse pas, mais je dois dire que les effets visuels et sonores ont un quelque chose d’exceptionnel, de grandiose. Le ridicule des discours chantés peut plaire comme il peut bien vite devenir redondant, se multipliant les hymnes à l’amour de Ai, les monologues haineux de l’amoureux déçu, et le cantonnement de Makoto dans la violence, ne voulant pas être aimé.

            À la fin du film, les applaudissements se sont faits un peu plus réservés qu’à l’égard de Hong Sang-Soo, mais cette fois je pouvais voir les réactions de l’équipe du film. Je n’ai pu qu’être ému de voir la jeune actrice verser quelques larmes, ne pouvant les retenir. Ce dut être une expérience monumentale que d’avoir participé au tournage de ce film, puis de l’avoir vu dans de telles conditions.

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