7/15/2012

Premier jour à Cannes : 17 mai








       Saïd et M. Lefeuvre avait convenu d'un rendez-vous, vers 9h30, dans la cours du Collège. M. Lefeuvre allait me remettre mon accréditation, comme ça j'allais profiter de la première journée du festival. Les projections avaient commencé il y a une semaine déjà, mais seuls les vrais de vrais professionnels et les tenants de salle de cinéma y avaient accès. Pour ceux-là, le marathon avait déjà commencé.


      Monsieur Lefeuvre s'est présenté comme prévu, avec mon accréditation, et puis un super sac à bandoulière, avec la revue des films en compétition dedans, et l'horaire de la journée. Saïd avait un dernier truc à régler pour son émission, alors j'ai fait connaissance avec Monsieur Lefeuvre ; un gentil monsieur, je dirais milieu, ou plutôt fin soixantaine, qui porte une moustache parfaitement grise, dont la longueur lui donne un panache naturel. J'avais une question à lui poser, une question qui me chicotait depuis un moment déjà : « Je me demande s'il y a une quelconque filiation entre les Productions J d'Europe et celles du Québec ». Non. Et si mon souvenir est bon, cela fait une vingtaine d'années que M. Lefeuvre parcourt les festivals de cinéma, comme producteur, et puis son équipe s'est agrandie, et les Productions J proposent depuis quelques années des stages à de jeunes cinéastes, voire à tous ceux qui veulent bien expérimenter certains des plus grands festivals de cinéma ; Venise, Cannes, Marrakech. Ensuite, je me suis fait demander ce que j'avais prévu faire à Cannes. Bonne question. Je lui ai répondu : Voir le plus possible de films, et faire de belles rencontres, mais je ne m'attends à rien. J'ai oublié de lui dire que j'avais apporté quelques copies d'un court scénario, et quelques copies de mes expériences cinématographiques. On m'avait demandé d'apporter du matériel à présenter, ce que j'avais fait, mais, bon, disons que ce n'était pas un réflexe pour moi d'en parler. Puis, j'ai jeté un coup d'œil à la revue de films, et Saïd nous a rejoints.

      Nous avons marché jusqu'au centre-ville, avec à l'épaule chacun notre sac cannois. Monsieur Lefeuvre allait rejoindre son équipe, qui lui préparait chaque jour un itinéraire. Saïd et moi avions choisi d'aller voir Moonrise Kingdom, qui était présenté dans la salle du 60e, dans le cadre des projections du lendemain. Alors nous avons vu, un jour plus tard, mais comme le grand monde, Moonrise Kingdom. Il a fallu attendre une bonne heure avant de rentrer, au gros soleil, avec vue sur la mer, et sur le port. C'était pas si mal. Et Saïd m'a montré où se trouvait le chapiteau du cinéma québécois, et où chaque pays, ou nation dans ce cas, avait son propre chapiteau. « Tu pourras y découvrir sommairement le cinéma de chacun de ces pays, et avoir plus d'informations sur leurs films présentés à Cannes. Aussi, c'est un bon point de rassemblement pour les gens de même pays, de même nation ». Avec un peu de chance, Saïd et moi avons franchi les portes parmi les derniers, et avons pu fouler le tapis rouge de la salle du 60e. D'abord nous avons trouvé deux places ; première rangée, complètement à droite. Saïd m'a dit de faire le tour des lieux, et de lui faire signe si je trouvais mieux. Beaucoup de gens avaient réservé une place pour quelqu'un, et tous les autres sièges étaient occupés. Un moment j'ai eu peur de devoir quitter la salle, bredouille. Puis, lorsque les portiers ont compté 300 entrées, les gens devaient libérer les places qu'ils réservaient. Et c'est donc depuis une place de choix que j'ai regardé le film de Wes Anderson. Saïd m'a fait un signe de la main. « Est-ce qu'il y a une autre place ? ». Je l'ai regardé, en levant les sourcils, et en faisant un signe négatif de la tête. Dommage ! Et les lumières s'éteignent. Le projecteur éclaire la toile. Nous voyons de grandes marches rouges, d'un rouge éclatant, qui déferlent devant nous. Le tout accompagné d'une musique légère, les violons rappelant quelque peu les films d'horreur des années 80. Nous suivons la progression des marches, jusqu'à ce qu'elles traversent le niveau de la mer, et que nous voyions la dernière marche, laquelle atteint les étoiles, puis laisse sa place au logo officiel du festival. C'était la petite vidéo qui allait précéder chacun des films en compétition.

      Une des premières scènes de Moonrise Kingdom est parfaitement représentative du reste du film ; par son humour et son esthétisme léché. Il s'agit d'un plan-séquence présentant Edward Norton faisant la ronde de son campement, en tant que chef de la troupe Kaki. Tous les matins se passent de même façon, tous les jeunes sont à leur poste, certains font du feu, d'autres préparent une cabane, tout se passe bien, jusqu'à ce que Ward s'assoie, prenne son café et son journal, et que tous les scouts le rejoignent à table. Ils remarquent alors qu'il manque un scout ; le campeur le moins aimé de la bande, mais le plus débrouillard. Le scout en question s'appelle Sam, et avait prévu avec son amie Suzy de s'enfuir, afin de vivre ensemble dans la forêt, tout en suivant le chemin qu'avaient emprunté les amérindiens lorsqu'ils migrèrent vers le nord, ou quelque chose comme ça. Bref, après avoir semé la panique dans les camps, et chez les parents de Suzy (Sam est orphelin), nous voyons les deux jeunes amoureux vivre en ne manquant de rien. Sam trouve même le moyen de percer les oreilles de sa petite amie, et d'embellir ses blessures de minis scarabées en guise de boucles d'oreille. Après de longues recherches, arrive ce qui devait arriver ; les scouts Kaki parviennent à retrouver Sam et Suzy. Et, même si Suzy poignarde un jeune avec des ciseaux (il y a une quasi mutinerie à un moment, avec des arcs à flèche, des tomahawks, et tout et tout), les deux amoureux sont rapatriés, et le film prend des tournures intéressantes. Je dirais que c'est une comédie qui peut plaire à tous ceux qui aiment les bonbons (c'est une comédie-bonbon).

      Ensuite nous sommes allés voir The Student, dans la salle Debussy. Puisque nous sommes arrivés en avance, mais pas tant, nous avons eu de bonnes places, mais au balcon. Bienheureux d'être au balcon, je pouvais considérer la grandeur de la salle, qui est tout simplement magnifique. Mes attentes face à ce film, inspiré de Crime et Châtiment, étaient peut-être trop grandes, puisque ce fut là ma plus grande et ma seule déception. Il est ingénieux d'avoir transposé les événements qui se passaient en Russie au 19e siècle, au Kazakhstan en 2012, mais le film, en 90 minutes, ne pouvait ni traduire l'angoisse, ni la folie, ni les rencontres fondamentales du récit de 600 pages de Dostoïevski. J'ai bien aimé les clins d'œil faits à l'égard de l'œuvre maîtresse, qui me rappelaient une lecture fascinante, mais sans plus. Pourtant, beaucoup en ont parlé en bien. Dommage pour moi !

      Après le film, Saïd m'a fait faire un tour du palais des festivals, en commençant par le stand de café expresso. Je ne me rappelle plus de la marque. Il s'agit des expressos un peu jet set, avec les petits cups en plastique. En tout cas, on nous offrait là l'expresso gratuitement, et tous les jours (!). Au sous-sol, le Marché du film, des centaines de stands, une trentaine d'allées, dont une qui mène au Short Film Corner. C'est aussi au sous-sol qu'il y a des toilettes (c'est toujours bon à savoir). Au rez-de-chaussée, il n'y a pas grand chose, exceptée l'entrée des artistes, que l'on peut prendre comme sortie, pour aller à la salle du soixantième, comme on a fait ce matin-là. Au premier étage, le stand d'expresso, le comptoir où les gens retirent leurs invitations, puis le  deuxième étage, là où il y a la salle de conférence de presse. La salle était vide, alors nous avons pu y entrer, même qu'on a pris quelques photos, confortablement assis, derrière ce même comptoir où nos innombrables idoles avaient répondu à d'innombrables questions. Puis, pour conclure, sans les emprunter cette fois, Saïd me montrait les escaliers menant aux salles Buñuel, et Bazin.

      Saïd avait rendez-vous avec quelqu'un, pour une entrevue. J'en ai profité pour aller faire un tour sous le chapiteau québécois. Les chapiteaux étaient alignés en bord de plage, et ce jour-là il faisait particulièrement beau. On m'a offert du café, j'ai préféré prendre un verre d'eau. Puis, après le petit rafraîchissement, regardant qui se trouvait sous le chapiteau, j'ai reconnu le symbole qui par sa forme et sa couleur me rattache au Québec. À une table, sur la terrasse, se trouvaient trois jeunes, un peu plus vieux que moi je crois, qui portaient le carré rouge, et discutaient avec deux personnes de la SODEC. Je crois que c'est Keven qui m'a invité à m'asseoir. Il s'était occupé de la sono pour un court métrage, Valse, réalisé par ses deux amis qui recevaient avec lui quelques conseils avant de présenter leur film au Short Film Corner. Après avoir échangé quelques mots avec Keven, et quelques salutations avec les autres, ne voulant pas les déranger, je leur ai souhaité une belle journée, en leur disant que j'allais revenir. Finalement, durant le festival, j'allais croiser le trio de Mile-Endais un peu partout.

      Puis, comme j'avais tous mes repas inclus au Collège, mais que l'heure des repas était fixe, j'ai eu le choix entre un film et un souper gratuit. Je me suis donc rendu au Collège, je crois qu'on y servait du poulet en bonne quantité. J'ai mangé seul, en me disant que je ne devais pas tarder si je voulais arriver assez tôt pour le film de 21 heures. J'avais choisi un film hors compétition, présenté dans le cadre de La semaine de la critique, soit Los Salvajes, un film argentin qui concourrait pour la caméra d'or, remise au meilleur premier film. Dans la file d'attente, j'ai rencontré une jeune française, qui était là puisqu'elle a une salle de cinéma indépendante, en région. Finalement, ça se passe chez elle un peu comme partout en région ; elle n'a pas vraiment le choix de présenter des blockbusters, mais tout de même elle se permet de présenter quelques coups de cœurs. De toute façon, les films à petit budget, le plus souvent ne demandent pas un cachet minimum, mais plutôt une part sur le prix des billets, alors s'il n'y a que les cinéphiles les plus avertis qui se présentent, elle perd un écran qui aurait pu être plus utile, certes, mais pas d'argent. Elle avait déjà vu quelques films, ce soir-là, elle en était à son quatrième, et elle semblait en pleine forme, jasante, souriante ; allumée par la passion du cinéma. Elle m'a parlé d'un festival à La Rochelle, un festival de cinéma sans compétition, où tous les gens font la même queue, au contraire du festival de Cannes, où tous les films, même les moins prisés, ont au minimum trois types d'entrées ; les Very Important Persons, les médias, et les professionnels. Cette fois j'étais dans la file où se mêlent tous les types de professionnels, mais aussi tous ceux qui ont une accréditation de cinéphile. Dans la hiérarchie des accréditations, l'accréditation de cinéphile est tout au bas de l'échelle. C'est un badge gris qui ne donne accès pratiquement qu'aux films de la Quinzaine et de La semaine de la critique. Techniquement, ils pourraient entrer partout, mais ceux qui portent le badge gris sont les derniers à entrer, alors ils font la file le plus souvent pour rien ; il n'y a jamais trop de places. C'est une dame qui nous a abordés, lorsque nous parlions des films que nous avions vus, qui me l'a appris. Cette dame, qui habite à Cannes, prend le badge de cinéphile chaque année, et voit quelques films, sans plus. Elle aime se promener en ville simplement, avec des amies, prendre un verre, profiter du moment. Plus jeune, elle tentait de se faire inviter au théâtre Louis-Lumière, et voir des films en compétition. Elle s'habillait chic et demandait à ceux qui sortaient du palais des festivals s'ils n'avaient pas une invitation en trop. Elle se mêlait à ceux qui, aujourd'hui comme hier, chaque jour, et toute la journée, quêtent, ou attendent avec un carton, une invitation. Ceux-là s'adressent à tous ceux qui portent un badge ; on ne sait jamais qui a une ou des invitations. Et ça marche. Beaucoup ont des invitations en trop, ou encore ne peuvent pas se rendre au théâtre Louis-Lumière ce jour-là, alors ils doivent, nécessairement, remettre leur invitation au comptoir où ils ont reçu leur invitation, ou encore en faire cadeau. On dit qu'ils perdent des points si jamais leur invitation n'est pas utilisée. Il y a les invitations bleues, qui permettent à n'importe quel détenteur de monter les célèbres marches, et de voir le film en compétition. Puis, il y a les invitations jaunes, sur lesquelles le nom de l'invité est inscrit, et qui doivent être utilisées par une personne qui a un badge de professionnel, ou encore par une personne qui est avec un professionnel. Monsieur Lefeuvre m'avait parlé de cette façon d'entrer au théâtre Louis-Lumière. Puisque c'est le seul endroit où on me refuse techniquement l'accès. Cette dame me confirmait donc la possibilité de cette seule solution, et pour moi d'autant plus possible puisque j'avais un badge orange et noir. L'heure d'attente derrière nous, la file se dirigeait alors vers la salle de cinéma. Nous nous sommes perdus de vue un moment, puis une fois dans la salle je les ai revues, quelques rangées derrière moi. Après une trentaine de minutes seulement, je remarquais qu'elles avaient quitté la salle Miramar.

      Je ne sais pas si c'est la jeunesse du réalisateur, Alejandro Fadel, qui a permis au film d'aller dans cette direction, ou si c'est une influence de réalisateurs comme Alejandro Jodorowsky, mais le film était, disons, pour certains, difficile à regarder. L'ambiance sonore était pour le moins agressante, et les images étaient d'une violence plus que sauvage. Meurtres, animaux décapités, faisaient partie du quotidien de la bande de jeunes qui se sauvaient d'une prison, afin de regagner la maison des deux frères. Je dirais que plus d'une vingtaine de personnes ont quitté la salle, ce qui est tout de même fréquent à Cannes. Bref, au-delà des images bouleversantes, je dirais qu'il y a dans ce film ce qui manquait au film de Darezhan Omirbayev, celui qui a fait The Student, soit de permettre aux spectateurs de philosopher, sur les pulsions animalières, sinon bestiales, et cela tout en évitant de ne nous laisser de sang-froid. 
      De retour au Collège, j'ai pris quelques photos de la bâtisse, qui se cadre plutôt difficilement en une seule prise. Puis je me suis rendu à ma chambre. Saïd était devant son écran d'ordinateur, n'ayant pas encore terminé le montage de son émission. Cette nuit-là non plus il n'a pas beaucoup dormi.

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