En fait, tout ça a plutôt commencé avec le Festival du Nouveau Cinéma, lors duquel j'ai pu voir une douzaine de films, dont Nuit
#1, le premier long métrage de Anne Émond,
dont je n'avais jamais entendu parler, dont la démarche artistique ne pouvait
qu'entrer en dialogue avec la mienne, moi qui m'intéresse également au germe romantique* que porte ma génération, et que porte Clara, la
protagoniste de Nuit #1. Une semaine après la fin du festival, mon ami Charles-André a publié sur sa page facebook
un hyperlien menant à la description du concours Belle plume, envole-toi
vers Cannes... C'est ce qui m'a encouragé à mettre en mots les échos
qui sommeillaient en moi depuis le visionnement de Nuit #1. J'avoue très franchement que j'ai eu bien du mal à
condenser en 300 mots ce que je voulais dire à propos du film de Anne Émond, et que de
critiquer ce film tout en tentant de rendre moins problématique mon emploi du mot « romantisme », en 300 mots, a été un exercice de style à la fois
poétique et plaisant. Je crois avoir pris plus d'une semaine avant d'avoir une
version finale, qui coupait de moitié sinon davantage mes premiers jets. Un mois plus tard, toujours submergé de lectures (je suivais un séminaire avec Marc Angenot, un
historien des idées fort
intéressant, dont l'érudition monumentale voire monstrueuse nous inspire à nous
couper du monde et à lire un millier de pages par semaine...), alors que je ne pensais déjà plus à cette critique qui finalement n'était
peut-être que le début d'une analyse originale mais maladroite du film de Anne Émond, j'ai reçu un
courriel du festival du Nouveau Cinéma, de Camille,
qui annonçait les gagnants de ce concours organisé conjointement par le Festival du Nouveau
Cinéma, le Consulat Général de France à Québec, la radio CISM 89,3
FM, et les Productions J*. Moi qui me disais n'avoir aucun espoir
de remporter le concours, j'étais sans âge et sans mot, n'étant pas même
capable de lire le courriel tellement j'étais énervé, lorsque j'ai d'abord
remarqué mon nom, en gras, dans le corps du message. Après cinq longues
secondes, de difficile concentration, c'était confirmé, c'était bel et bien moi
qui s'envolerais vers Cannes...
Il fallait que je le dise à quelqu'un, que je réalise ce qui était en train de se passer. Je suis descendu de ma chambre, ai rejoint ma coloc et ses amies allemandes, qui comme elle faisaient des études au Québec, à l'UQÀM. Je leur racontais les yeux
ronds et les mains tremblantes qu'au mois de mai j'allais mettre les pieds sur le tapis rouge. Elles ne savaient pas plus que moi ce que ça
représentait d'aller à Cannes. Puis c'est cette joie-là, mêlée d'une profonde
incompréhension, que j'ai longtemps gardée pour moi seul, peut-être par
modestie, mais aussi parce que chaque fois que j'en parlais, mes illusions à
propos de Cannes, cette inconnue, s'embrouillaient davantage.
Fin novembre, après avoir rencontré les membres du jury, nous rencontrant tous dans les
locaux de CISM, parlant principalement de cinéma, et du film de Anne Émond,
tout en débouchant une bouteille de Veuve Cliquot (Laurent Sagalovitsch disait
vrai ; tout Consulat de France ne jure que par ça!), les préparations de voyage
ont commencé. Entre deux invitations pour l'avant-première médiatique d'un film
français, le Consulat de France s'est occupé de moi (merci Laurence et
Anne-Lorraine), me donnant tout ce que je voulais avoir comme information, si je pouvais retarder ma date de retour de quelques semaines par
exemple, me
mettant aussi en contact avec les productions J, qui allaient me recevoir à
Cannes le 16 mai 2012. En fait, je crois bien que c'est le président des
Productions J qui a donné l'idée à quelques consulats de France d'utiliser une
partie de leur budget afin d'inviter de jeunes cinéphiles de partout dans le monde à
faire un stage au festival de Cannes. Le Consulat s'occupe du transport, de
l'encadrement, et une fois en Europe, René Lefeuvre et son équipe s'occupent de
nous trouver une accréditation de professionnel, un hébergement à la fois
modeste et près du centre-ville, ce qui n'est pas toujours simple à cette
période de l'année...
Durant les préparatifs, une des premières choses qu'on m'a demandées, ça a été d'exprimer mes motivations
à l'idée d'aller à Cannes. Voilà ce que je leur ai répondu :
En fait, ça m’a pris du temps avant de le savoir, ce qui me motive à
l'idée d'aller à Cannes, tout simplement parce que de vivre cette expérience
était et est encore pour moi quelque chose que je ne peux pas concevoir. À la
fois j’ai rêvé et rêve encore de ce festival légendaire, qui exalte tout
cinéphile ; le tapis rouge, les grandes premières, les grandes robes, les
grands noms, à la fois j’ai considéré ce laissez-passer pour Cannes comme une
promesse de voyage qui puisse satisfaire, enfin, mon envie de voir et de me
confronter à un ailleurs. C’est cet équilibre auquel je veux croire, qui me
rassure, quand je me refuse de rêver.
J’ai vu le site du festival un mois de juillet, en 2008, bon, ce
n’était pas le Ground Zero, mais disons que les escaliers par lesquels on entre
par la grande porte n’étaient pas très achalandés... Et que les grandes boutiques
tout autour n'étaient pas ce qu'il y a de plus glamour. Peut-être est-ce un
point de vue de lettreux, mais mon but, on ne se sort jamais vraiment du
fantasme, ce serait de saisir l’enthousiasme que fait naître un tel festival ;
l’avant, le pendant, l’après. Alors je me promets d’arriver le premier sur les
lieux, d’observer la scène depuis la plage, et d’avancer, suivant le rythme,
jusqu'au tapis rouge, afin de le voir de mes yeux vus, ensuite je passerai deux
heures dans une file afin de voir un film, puis une seconde file, un second
film, pour ensuite me précipiter dans une salle de conférence quelconque et d’y
entendre les premiers mots du nouveau Jim Jarmusch, et d’enfin prendre un verre
avec quelqu’un qui comme moi est venu savourer et même se perdre dans cette
fourmilière, nous échangeant nos impressions, pour le lendemain recommencer, d’une
nouvelle façon. Voilà ce qui m’inspire, et que je me permets de croire, de
projeter.
15-01-2012
Dès lors, écrire mûrissant ma réflexion, je me suis considéré comme un découvreur, voyant de façon plus rassurante
l'inconnu auquel je me rapprochais chaque jour. Et comme le voyage allait se
prolonger – non seulement on me donnait la possibilité de vivre l'expérience du
festival de Cannes, mais on me permettait de rester et de visiter les vieux pays par la
suite –, j'avais tout un itinéraire à prévoir, et un budget à trouver. Disons que mes
préparatifs pour Cannes étaient simples
(acheter un nœud papillon, retrouver mon habit de bal, dont finalement je ne me
suis pratiquement pas servis), mais pour la suite, il fallait choisir où et
quand, et voir à ne pas manquer de sous.
M'imaginant en période de rédaction, je prévoyais écrire la partie de mon
mémoire en recherche et création qui se déroule à Rome, à Rome, puis à Roviano,
aux bords de la rivière Aniene, dont me parlait mon grand-oncle, un personnage
important dans ce projet d'écriture. Puis, je voulais absolument aller à
Berlin, et rendre visite à ma coloc, Verena, qui serait chez elle à Frankfürt. J'ai dû changer d'itinéraire des dizaines de fois,
puis je me suis quelque peu contraint en me procurant une passe de train
Eurail, qui allait me permettre de voyager durant huit jours non consécutifs et
dans cinq pays différents. Donc il me fallait faire des choix. Ce qui finalement n'a pas été trop pénible. Et il faut dire que plus ça allait, plus j'étais encouragé par ce qui m'attendait ; un jour mon père m'a appris que j'allais avoir un généreux retour d'impôts, près de 1000 dollars, ce qui avec mes prêts et bourses allait être parfaitement suffisant.
Même si je me disais que peu importe ce qui allait se passer, j'allais
profiter de mon séjour en Europe, qui ne se répéterait pas de si tôt, j'espérais chaque semaine qu'il y ait des avancements, un
réel dialogue entre les étudiants et le gouvernement de Jean Charest. Chaque
semaine je m'imaginais qu'il allait y avoir des compromis raisonnables de chaque côté. Et
non, ça ne se réglait pas. J'allais aux assemblées étudiantes, aux
manifestations, je complétais plus que tranquillement mes travaux, m'égarant dans
des lectures parfois inutiles, et tentant d'apprendre un peu d'allemand en
faisant chez ma blonde du vélo stationnaire.
Et le mois d'avril avançait. J'avais prévu quitter le Québec autour du 14
mai, me disant qu'en arrivant deux jours avant le début du festival, j'allais
avoir le temps de m'habituer au décalage horaire. Et chaque semaine je
pensais que la reprise des cours allait être possible, vu les manifestations
monstres, le mouvement qui se généralisait, les écarts de conduite de Jean
Charest, les effrayants débordements. Je me disais que ça ne durerait pas, mais
il fallait repousser le plus possible ma date de départ, vu les séminaires à
rattraper, les présentations que j'allais peut-être avoir à faire. Finalement, j'allais partir dans la nuit du 15 mai, pour arriver à Cannes le premier jour du festival, et c'est avec
le bon accord de mes professeurs, et de mon directeur de recherche, que j'allais remettre tous mes travaux dûment complétés, ainsi que le premier chapitre de mon mémoire, pour un total de quatre-vingt pages, avant de partir.
Disons que je n'ai pas vu tous ceux que j'aurais aimé voir avant de
m'absenter pour huit semaines. Chaque jour, je portais mon carré rouge, qui n'était vu que par la famille de ma blonde, sur l'heure du souper, quand mon
beau-père nous rendait visite, ce qui chaque fois provoquait de vives réactions
chez lui. Nous qui nous accordions si bien, nos discussions s'envenimaient
malgré nous, ce qui nous attristait d'autant plus lorsque, venu le temps de nous coucher, il rentrait chez lui, et que notre accolade n'était plus aussi
familière. Un moment, je crois que c'était le dernier soir avant de partir,
notre discussion m'a mené à une conclusion. C'était à la suite d'un débat
qui avait suivi nos lectures respectives d'un article de Joseph Facal, un chroniqueur du Journal de Montréal, supposément favorable aux causes de gauche, mais qui nous informe sur les pays que
l'on prend en exemple, lorsque l'on parle de gratuité scolaire, à savoir que ces modèles ont leur part de vice caché. Je cite les
exemples de M. Facal : « En France, berceau de l’idée d’égalité, les
universités sont, pour ainsi dire, gratuites. Mais il faut n’y avoir jamais mis
les pieds pour proposer ce système en exemple. Les universités françaises
tombent en ruines pour cause de sous-financement ». Puis : « En Norvège, il n’y
a pas de droits de scolarité universitaires. Mais ce pays a choisi d’exploiter
le pétrole qu’il possède, ce qui
l’a fabuleusement enrichi. Au Québec, ceux qui prônent le gel ou la gratuité
universitaire sont souvent les mêmes qui s’opposent à l’exploitation de nos
richesses naturelles ».
Oui, bien sûr que ce sont de bons arguments afin de défendre l'opinion
néo-libérale. Si nous acceptons d'en rester là. Mais la question n'est pas là. Et là où j'en viens est fort
probablement la raison pourquoi nous nous boquons. Ne pensant qu'au caractère simplement fonctionnel du programme de hausse des
frais de scolarité, et plus généralement du projet de société qu'imagine pour
nous le gouvernement de Jean Charest, il y a quelque chose de « faisable »
là-dedans. Je le reconnais, mais dans mon idéal personnel aussi il y a
quelque chose de « faisable » là-dedans. Et je n'ai pas besoin d'élever la voix, ni de mépriser mon adversaire pour me donner raison. Nous véhiculons des idées fonctionnelles, mais qui font face-à-face
à 100 kilomètre-heure. Quelques différences nous séparent ; je n'ai pas d'idée fixe, ni une quelconque fermeture d'esprit, et je veux savoir où on s'en va. Marre de la forclusion des Joseph Facal
qui refusent de considérer, sérieusement, s'il ne faut parler que de gratuité scolaire, cette solution typiquement québécoise, qui est de taxer les bénéfices de nos puissantes banques, qui, au contraire des banques européennes, sont en pleine forme.
Et le lendemain, nous étions mardi le 15 mai. L'angoisse m'a fait réveillé
vers cinq heures du matin, mes travaux et mes bagages étant pourtant faits.
Vers une heure de l'après-midi, c'était l'heure de partir. Je quittais
Saint-Hyacinthe, accompagné de ma copine, tentant d'oublier durant le trajet nos ventres vides, et nos cœurs lourds, ce qui n'était pas « faisable ».
Bonjour Renaud Lamy-Beaupré,
RépondreSupprimerJe viens de découvrir ton blog via l'annonce du concours belle plume envole-toi vers cannes. Quelle expérience incroyable tu as du vivre! Je te félicite pour ton blog, il donne une très bonne idée de ce que peut être l'aventure cannoise, aussi le billet traitant des différents statuts de spectateurs est très instructif. Enfin, j'aimerais savoir s'il y a un endroit où on peut trouver ta critique pour nuit# 1, je serais et je ne dois pas être la seule, intéressé à lire la critique.