7/13/2012

L'avant-voyage


En fait, tout ça a plutôt commencé avec le Festival du Nouveau Cinéma, lors duquel j'ai pu voir une douzaine de films, dont Nuit #1, le premier long métrage de Anne Émond, dont je n'avais jamais entendu parler, dont la démarche artistique ne pouvait qu'entrer en dialogue avec la mienne, moi qui m'intéresse également au germe romantique* que porte ma génération, et que porte Clara, la protagoniste de Nuit #1. Une semaine après la fin du festival, mon ami Charles-André a publié sur sa page facebook un hyperlien menant à la description du concours Belle plume, envole-toi vers Cannes... C'est ce qui m'a encouragé à mettre en mots les échos qui sommeillaient en moi depuis le visionnement de Nuit #1. J'avoue très franchement que j'ai eu bien du mal à condenser en 300 mots ce que je voulais dire à propos du film de Anne Émond, et que de critiquer ce film tout en tentant de rendre moins problématique mon emploi du mot « romantisme », en 300 mots, a été un exercice de style à la fois poétique et plaisant. Je crois avoir pris plus d'une semaine avant d'avoir une version finale, qui coupait de moitié sinon davantage mes premiers jets. Un mois plus tard, toujours submergé de lectures (je suivais un séminaire avec Marc Angenot, un historien des idées fort intéressant, dont l'érudition monumentale voire monstrueuse nous inspire à nous couper du monde et à lire un millier de pages par semaine...), alors que je ne pensais déjà plus à cette critique qui finalement n'était peut-être que le début d'une analyse originale mais maladroite du film de Anne Émond, j'ai reçu un courriel du festival du Nouveau Cinéma, de Camille, qui annonçait les gagnants de ce concours organisé conjointement par le Festival du Nouveau Cinéma, le Consulat Général de France à Québec, la radio CISM 89,3 FM, et les Productions J*. Moi qui me disais n'avoir aucun espoir de remporter le concours, j'étais sans âge et sans mot, n'étant pas même capable de lire le courriel tellement j'étais énervé, lorsque j'ai d'abord remarqué mon nom, en gras, dans le corps du message. Après cinq longues secondes, de difficile concentration, c'était confirmé, c'était bel et bien moi qui s'envolerais vers Cannes...

Il fallait que je le dise à quelqu'un, que je réalise ce qui était en train de se passer. Je suis descendu de ma chambre, ai rejoint ma coloc et ses amies allemandes, qui comme elle faisaient des études au Québec, à l'UQÀM. Je leur racontais les yeux ronds et les mains tremblantes qu'au mois de mai j'allais mettre les pieds sur le tapis rouge. Elles ne savaient pas plus que moi ce que ça représentait d'aller à Cannes. Puis c'est cette joie-là, mêlée d'une profonde incompréhension, que j'ai longtemps gardée pour moi seul, peut-être par modestie, mais aussi parce que chaque fois que j'en parlais, mes illusions à propos de Cannes, cette inconnue, s'embrouillaient davantage.

Fin novembre, après avoir rencontré les membres du jury, nous rencontrant tous dans les locaux de CISM, parlant principalement de cinéma, et du film de Anne Émond, tout en débouchant une bouteille de Veuve Cliquot (Laurent Sagalovitsch disait vrai ; tout Consulat de France ne jure que par ça!), les préparations de voyage ont commencé. Entre deux invitations pour l'avant-première médiatique d'un film français, le Consulat de France s'est occupé de moi (merci Laurence et Anne-Lorraine), me donnant tout ce que je voulais avoir comme information, si je pouvais retarder ma date de retour de quelques semaines par exemple, me mettant aussi en contact avec les productions J, qui allaient me recevoir à Cannes le 16 mai 2012. En fait, je crois bien que c'est le président des Productions J qui a donné l'idée à quelques consulats de France d'utiliser une partie de leur budget afin d'inviter de jeunes cinéphiles de partout dans le monde à faire un stage au festival de Cannes. Le Consulat s'occupe du transport, de l'encadrement, et une fois en Europe, René Lefeuvre et son équipe s'occupent de nous trouver une accréditation de professionnel, un hébergement à la fois modeste et près du centre-ville, ce qui n'est pas toujours simple à cette période de l'année...

Durant les préparatifs, une des premières choses qu'on m'a demandées, ça a été d'exprimer mes motivations à l'idée d'aller à Cannes. Voilà ce que je leur ai répondu :

En fait, ça m’a pris du temps avant de le savoir, ce qui me motive à l'idée d'aller à Cannes, tout simplement parce que de vivre cette expérience était et est encore pour moi quelque chose que je ne peux pas concevoir. À la fois j’ai rêvé et rêve encore de ce festival légendaire, qui exalte tout cinéphile ; le tapis rouge, les grandes premières, les grandes robes, les grands noms, à la fois j’ai considéré ce laissez-passer pour Cannes comme une promesse de voyage qui puisse satisfaire, enfin, mon envie de voir et de me confronter à un ailleurs. C’est cet équilibre auquel je veux croire, qui me rassure, quand je me refuse de rêver.
J’ai vu le site du festival un mois de juillet, en 2008, bon, ce n’était pas le Ground Zero, mais disons que les escaliers par lesquels on entre par la grande porte n’étaient pas très achalandés... Et que les grandes boutiques tout autour n'étaient pas ce qu'il y a de plus glamour. Peut-être est-ce un point de vue de lettreux, mais mon but, on ne se sort jamais vraiment du fantasme, ce serait de saisir l’enthousiasme que fait naître un tel festival ; l’avant, le pendant, l’après. Alors je me promets d’arriver le premier sur les lieux, d’observer la scène depuis la plage, et d’avancer, suivant le rythme, jusqu'au tapis rouge, afin de le voir de mes yeux vus, ensuite je passerai deux heures dans une file afin de voir un film, puis une seconde file, un second film, pour ensuite me précipiter dans une salle de conférence quelconque et d’y entendre les premiers mots du nouveau Jim Jarmusch, et d’enfin prendre un verre avec quelqu’un qui comme moi est venu savourer et même se perdre dans cette fourmilière, nous échangeant nos impressions, pour le lendemain recommencer, d’une nouvelle façon. Voilà ce qui m’inspire, et que je me permets de croire, de projeter.
15-01-2012

Dès lors, écrire mûrissant ma réflexion, je me suis considéré comme un découvreur, voyant de façon plus rassurante l'inconnu auquel je me rapprochais chaque jour. Et comme le voyage allait se prolonger – non seulement on me donnait la possibilité de vivre l'expérience du festival de Cannes, mais on me permettait de rester et de visiter les vieux pays par la suite –, j'avais tout un itinéraire à prévoir, et un budget à trouver. Disons que mes préparatifs pour Cannes étaient simples (acheter un nœud papillon, retrouver mon habit de bal, dont finalement je ne me suis pratiquement pas servis), mais pour la suite, il fallait choisir où et quand, et voir à ne pas manquer de sous. 

M'imaginant en période de rédaction, je prévoyais écrire la partie de mon mémoire en recherche et création qui se déroule à Rome, à Rome, puis à Roviano, aux bords de la rivière Aniene, dont me parlait mon grand-oncle, un personnage important dans ce projet d'écriture. Puis, je voulais absolument aller à Berlin, et rendre visite à ma coloc, Verena, qui serait chez elle à Frankfürt. J'ai dû changer d'itinéraire des dizaines de fois, puis je me suis quelque peu contraint en me procurant une passe de train Eurail, qui allait me permettre de voyager durant huit jours non consécutifs et dans cinq pays différents. Donc il me fallait faire des choix. Ce qui finalement n'a pas été trop pénible. Et il faut dire que plus ça allait, plus j'étais encouragé par ce qui m'attendait ; un jour mon père m'a appris que j'allais avoir un généreux retour d'impôts, près de 1000 dollars, ce qui avec mes prêts et bourses allait être parfaitement suffisant.

Même si je me disais que peu importe ce qui allait se passer, j'allais profiter de mon séjour en Europe, qui ne se répéterait pas de si tôt, j'espérais chaque semaine qu'il y ait des avancements, un réel dialogue entre les étudiants et le gouvernement de Jean Charest. Chaque semaine je m'imaginais qu'il allait y avoir des compromis raisonnables de chaque côté. Et non, ça ne se réglait pas. J'allais aux assemblées étudiantes, aux manifestations, je complétais plus que tranquillement mes travaux, m'égarant dans des lectures parfois inutiles, et tentant d'apprendre un peu d'allemand en faisant chez ma blonde du vélo stationnaire.

Et le mois d'avril avançait. J'avais prévu quitter le Québec autour du 14 mai, me disant qu'en arrivant deux jours avant le début du festival, j'allais avoir le temps de m'habituer au décalage horaire. Et chaque semaine je pensais que la reprise des cours allait être possible, vu les manifestations monstres, le mouvement qui se généralisait, les écarts de conduite de Jean Charest, les effrayants débordements. Je me disais que ça ne durerait pas, mais il fallait repousser le plus possible ma date de départ, vu les séminaires à rattraper, les présentations que j'allais peut-être avoir à faire. Finalement, j'allais partir dans la nuit du 15 mai, pour arriver à Cannes le premier jour du festival, et c'est avec le bon accord de mes professeurs, et de mon directeur de recherche, que j'allais remettre tous mes travaux dûment complétés, ainsi que le premier chapitre de mon mémoire, pour un total de quatre-vingt pages, avant de partir. 

Disons que je n'ai pas vu tous ceux que j'aurais aimé voir avant de m'absenter pour huit semaines. Chaque jour, je portais mon carré rouge, qui n'était vu que par la famille de ma blonde, sur l'heure du souper, quand mon beau-père nous rendait visite, ce qui chaque fois provoquait de vives réactions chez lui. Nous qui nous accordions si bien, nos discussions s'envenimaient malgré nous, ce qui nous attristait d'autant plus lorsque, venu le temps de nous coucher, il rentrait chez lui, et que notre accolade n'était plus aussi familière. Un moment, je crois que c'était le dernier soir avant de partir, notre discussion m'a mené à une conclusion. C'était à la suite d'un débat qui avait suivi nos lectures respectives d'un article de Joseph Facal, un chroniqueur du Journal de Montréal, supposément favorable aux causes de gauche, mais qui nous informe sur les pays que l'on prend en exemple, lorsque l'on parle de gratuité scolaire, à savoir que ces modèles ont leur part de vice caché. Je cite les exemples de M. Facal : « En France, berceau de l’idée d’égalité, les universités sont, pour ainsi dire, gratuites. Mais il faut n’y avoir jamais mis les pieds pour proposer ce système en exemple. Les universités françaises tombent en ruines pour cause de sous-financement ». Puis : « En Norvège, il n’y a pas de droits de scolarité universitaires. Mais ce pays a choisi d’exploiter le pétrole qu’il possède, ce qui l’a fabuleusement enrichi. Au Québec, ceux qui prônent le gel ou la gratuité universitaire sont souvent les mêmes qui s’opposent à l’exploitation de nos richesses naturelles ».

Oui, bien sûr que ce sont de bons arguments afin de défendre l'opinion néo-libérale. Si nous acceptons d'en rester là. Mais la question n'est pas là. Et là où j'en viens est fort probablement la raison pourquoi nous nous boquons. Ne pensant qu'au caractère simplement fonctionnel du programme de hausse des frais de scolarité, et plus généralement du projet de société qu'imagine pour nous le gouvernement de Jean Charest, il y a quelque chose de « faisable » là-dedans. Je le reconnais, mais dans mon idéal personnel aussi il y a quelque chose de « faisable » là-dedans. Et je n'ai pas besoin d'élever la voix, ni de mépriser mon adversaire pour me donner raison. Nous véhiculons des idées fonctionnelles, mais qui font face-à-face à 100 kilomètre-heure. Quelques différences nous séparent ; je n'ai pas d'idée fixe, ni une quelconque fermeture d'esprit, et je veux savoir où on s'en va. Marre de la forclusion des Joseph Facal qui refusent de considérer, sérieusement, s'il ne faut parler que de gratuité scolaire, cette solution typiquement québécoise, qui est de taxer les bénéfices de nos puissantes banques, qui, au contraire des banques européennes, sont en pleine forme.

Et le lendemain, nous étions mardi le 15 mai. L'angoisse m'a fait réveillé vers cinq heures du matin, mes travaux et mes bagages étant pourtant faits. Vers une heure de l'après-midi, c'était l'heure de partir. Je quittais Saint-Hyacinthe, accompagné de ma copine, tentant d'oublier durant le trajet nos ventres vides, et nos cœurs lourds, ce qui n'était pas « faisable ».

1 commentaire:

  1. Bonjour Renaud Lamy-Beaupré,
    Je viens de découvrir ton blog via l'annonce du concours belle plume envole-toi vers cannes. Quelle expérience incroyable tu as du vivre! Je te félicite pour ton blog, il donne une très bonne idée de ce que peut être l'aventure cannoise, aussi le billet traitant des différents statuts de spectateurs est très instructif. Enfin, j'aimerais savoir s'il y a un endroit où on peut trouver ta critique pour nuit# 1, je serais et je ne dois pas être la seule, intéressé à lire la critique.

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