8/04/2012

Huitième jour à Cannes : 24 mai








Cette fois j’irai voir On the road, le film de Walter Salles, lui qui nous a fait connaître les aventures de Che Guevara à moto et qui maintenant adapte le livre de Jack Kerouac à l'écran. Quelques scènes de voiture et de bars ont été tournées au Québec, paraît-il, mais le cinéaste brésilien et sa troupe ont dû être mal informés puisque, dans les alentours de Montréal, en plein été, ils s’attendaient plutôt à tourner les scènes avec de la neige. Malheureusement pour eux, les neiges éternelles sont beaucoup plus au Nord. Donc ils ont dû tourner ces scènes-là en Argentine finalement. Et oui, il y a de la neige, quelque part là-bas, quand il fait chaud au Québec.

J’étais dans les premiers arrivés. Si à l'avance qu’il a fallu attendre un moment sous un chapiteau avant de gravir les portes du Soixantième. Quand on a bougé pour attendre un peu plus haut, une heure durant, les premiers arrivés se sont fait charger par le soleil, moi compris. En digne festivalier, j'avais ce qu'il fallait. C'est que la température est différente chaque jour, donc j’ai toujours : de la crème solaire, un parapluie, un vêtement chaud. Assis sur le tapis toujours rouge, cette fois ma capuche m'a servi pour me cacher du soleil. Chacun combattait à sa façon le soleil, le temps. Ça ne jasait pas fort fort dans la file d’attente... Après une heure, nos places étaient bien méritées. Je me suis permis de m’asseoir au beau milieu de la cinq ou sixième rangée. Engloutie, ma dernière gorgée d’eau, il m’a fallu demander à ma voisine si elle voulait bien surveiller ma place un moment. En revenant des toilettes, ma place était encore libre ; la dame l’avait bien défendue. « C’est que vous l’avez bien méritée, cette place ». Oui, c’est vrai. Et le rituel vidéo d’ouverture accompagné de la petite musique commençait, quelques-uns ont pris une photo du logo officiel, affiché à la fin du publicitaire.

Je doute que l’on puisse dire du mal de On the road. On a fait beaucoup de bruit au sujet du choix des acteurs ; on tenait absolument à ce qu'un plus ou moins proche de Jack Kerouac vivant encore approuve le choix de Sam Riley dans le rôle de Jack Kerouac. Mais bon, pour ceux qui ne connaissent que les mots de Jack Kerouac, disons que si Sam Riley avait eu la gueule ou la barbe d’Allen Ginsberg, on ne se serait pas plaint pour autant ; les héros en questions n'avaient pas encore de visage connu. C'est plutôt du côté du récit, s'il avait été trahi de quelque façon que l'on se serait plaint. Ce ne fut pas le cas. À mes yeux, l'adaptation porte peut-être un peu trop sur la relation entre Sal Paradise et son ami Dean. Mais peut-être est-ce là ce qui explique la réussite du film. À la lecture, j’avais complètement oublié Dean, et je me foutais bien que Sal Paradise termine la soirée, puis le voyage seul. Alors que dans le film, c’est la fin du monde, on pense que Sal va mourir, et tout. Il y a là une grande différence entre le film et le roman, et c’est la façon d’idolâtrer Dean. Lorsqu’on lit le roman, ce sont les mots de Sal Paradise ; on ne l’oublie pas, on lui concède une force qui est celle de narrer. Mais à l’écran, on ne voit et ne pense qu’à Dean. On oublie plutôt Sal. C’est plus facile dans le roman de dire que Dean est un beau salaud, alors que tout au long du film, il est charmant. C'est la faute du regard cinématographique, qui a le pouvoir de nous rendre attrayants les personnages les plus repoussants. 

Rassasié d’un peu plus de deux heures de cinéma, il me fallait me rendre à l’autre bout du centre-ville pour attraper un programme de courts métrages. Quelques jours plus tôt, dans une file d’attente, j’avais demandé du feu à quelqu’un, et j’étais tombé sur une directrice artistique et un directeur photo brésiliens, à peu près de mon âge. Ils m’avaient demandé si je présentais un film dans le cadre du festival. Eux, c’était le cas. Je me rendais donc ce jeudi-là à la projection de leur film, Os mortos-vivos ; Les morts-vivants. Je me demandais ce que le film dirait sur la jeune génération brésilienne. Finalement, disons simplement que je n’ai pas particulièrement aimé leur film. (En retapant les mots de mon journal, je dois d'ailleurs me confronter à l'absence de souvenirs que j'en ai...) Sinon, parmi les cinq courts métrages, il y a Wrong Cops que j’ai trouvé très drôle, et qui m’a marqué d’abord par un casting surprenant : Marylin Manson joue le rôle d'un adolescent un peu nerd, écouteurs aux oreilles. Et il y a ce flic qui deale de la drogue aux jeunes, leur refilant la marijuana qu'il camoufle dans des rats morts. Ce qui donne lieu à une scène du genre : le policier est assis sur le trottoir, un jeune vient le rejoindre à vélo, la transaction se fait, et le jeune demande : « Et je fais comment avec ça ? – Eh bien, tu l’ouvres, petit con ». Puis, il y a la rencontre avec le jeune que joue Marylin Manson. On peut voir le début de la scène dans cette bande-annonce : http://vimeo.com/43598374. Choqué par ce que le jeune écoute, le policier va finalement kidnapper Marylin Manson pour lui faire écouter de la vraie musique. Le jeune prend peur, et se sauve. Le policier tire dans sa direction à bout portant, mais atteint plutôt le voisin. Et le court métrage se termine sur une belle note : le policier cherche un endroit où larguer le cadavre. Peut-être est-ce dû au fait qu’il n’y a pas beaucoup de comédies à Cannes, mais disons que celle-là a fait du bien. 

Pour terminer la journée, je voulais aller voir le film de Catherine Corsini, Trois Mondes, qui était présenté à 22h15. J’avais tout mon temps pour me rendre au Collège avant la représentation. J’ai pris quelques photos. J’ai même fait du lavage. J'ai bêtement abîmé le chandail que je m'étais procuré en souvenir : un chandail noir avec une chaise de réalisateur blanche, à laquelle il manque  malheureusement depuis des bouts de pattes de chaise (j'ai omis de laver le précieux chandail à l'envers). Sur l’heure du lunch, j’ai parlé avec un Russe, de Moscou. C’est un de ceux qui ne parlaient à personne ou presque. On se retrouvait souvent à la même table. La discussion a commencé comme elle commence d’habitude. « So, where are you from ? ». Et puis j’en ai profité pour lui demandé comment on dit bon appétit en russe. « Priyatnagha appetita », ou quelque chose du genre. Il avait le type des jeunes de grandes villes ; il portait des vêtements disons urbains, avec une coiffure, assez courte, à la mode. Il était plutôt petit, mince, et blond ce à quoi on peut sans doute le reconnaître comme Russe. Pour continuer, je lui ai demandé : « What the 18 years old guys are doing in Moscow ? Do they listen to music and do skateboarding ? Yeah, they do ». On ne savait pas trop quoi se dire. On n’a pas parlé de la répression policière en Russie, de Vladimir Poutine, ni de leur système économique. Plutôt, on a parlé des États-Unis. Il m’en parlait comme d’une cause perdue, d'une façon un peu nonchalante. « The United States are sitting on a bomb », il disait. Je ne comprenais pas exactement. Et dans la même phrase il disait être content de vivre en Russie puisqu’en Russie il y a le lac Baïkal, la plus grande réserve d’eau potable du monde. Pour conserver la pureté de l’eau, ils ont exproprié à peu près tous ceux qui s’y étaient installés. On aurait dit, de la façon qu’il parlait, qu'ils préservaient le lac Baïkal pour une éventuelle fin du monde. Je ne savais pas si c’était des expressions, ou si je devais le prendre au pied de la lettre. Un moment, ce jeune me faisait presque peur. Me trouvant soudainement sympathique au destin des Américains, je lui rappelai qu’ils avaient trouvé un moyen de transformer n’importe quelle eau en eau potable. En fait, je ne savais ni qui ni quand ni comment, mais la discussion s'est terminée avec une raison de plus pour haïr les Américains. « Why do they not save all the Africans with this ? » J'étais d'accord, alors ma réponse a pris la forme d'un aveu : « Because they would not make money... ». 

Et je suis monté à ma chambre avant de me rendre à la salle Debussy. Le couple d’amis, avec qui j’avais fait la file hier soir, était au rendez-vous. J'allais entendre à nouveau leur formule favorite : « Oh, on s’est barrés avant la fin ». J’étais pour le moins scandalisé : « Quoi ? Vous n'êtes pas restés jusqu’à la fin pour le film d’Amélie Van  ? » « Les scènes étaient parachutées » restait leur argument le plus fort. « Mais on a qu’à le faire, le pont entre les scènes. Et d’ailleurs, pour ceux qui aiment les road movies, c’était génial. En fait, après la projection, la jeune belge nous a parlé de comment s’est passé le tournage. Elle a écrit et tourné le tout en deux mois à peine. C’est qu’elle voulait tourner avec un certain David, un acteur de théâtre, qui n’était libre que trois semaines durant le mois d’août, alors elle a couché un premier jet en un mois et demi, et ils ont tourné les trois semaines qu’il pouvait, sur la route, pour finalement réaliser le tout en deux mois. Elle arrivait parfois pour le tournage et réécrivait des scènes, ou les imaginait sur place, comme le faisait Godard. – Oh, mais voyons, on ne peut plus faire du cinéma comme Godard. On en est plus LÀ. – Je pense le contraire. Il devrait en avoir plus de films comme ça ». En tout cas, je ne savais pas qu’on pouvait rester de glace devant un road movie. Soit c’étaient des puristes, soit ils ne partageaient pas ce besoin de partir vers un ailleurs. Reste que la discussion ne s’envenimait pas pour autant. Et qu’elle s’est poursuivie d’agréable façon jusqu’à l’ouverture des portes. 

 Cette fois c’était à mon tour d’être déçu, et, j’allais le savoir plus tard, à leur tour d’être conquis. Le film de Catherine Corsini, Trois Mondes, a de quoi laisser perplexe. Un jeune homme d’affaire, qui va bientôt se marier, happe à mort un piéton avec sa voiture, un soir de fête. Une dame, du haut de son balcon, voit la scène. Voit l’homme en veston sortir de son véhicule, pour constater les dégâts, et prendre la fuite ensuite. La femme se précipite sur les lieux, et ne peut rien faire pour la victime ; elle entend ses quelques mots, incompréhensibles. Puis elle appelle la police. La victime, inconsciente, est transportée en ambulance. Quelques jours plus tard, la femme et le chauffard se croisent dans l’ascenseur de l’hôpital, tous deux ayant quelques soucis pour la victime. La femme le reconnaît. Le dilemme : elle qui s’est liée d’amitié avec la femme de la victime, va-t-elle vendre le jeune homme d’affaire, et ruiner sa carrière ? Elle observe le futur mari quelques jours, et finalement va à sa rencontre. Elle lui dit savoir qu’il est le responsable de l’accident, et tout. La tension augmente lorsque la victime rend son dernier souffle. Ils en viennent à un accord, il trouvera des sous pour venir en aide à la veuve, pour payer les coûts élevés d’hospitalisation, les frais d’enterrement ; la veuve veut enterrer son mari dans leur pays d’origine. Ça devient compliqué, la veuve veut savoir qui est le coupable, la femme ne veut pas le lui dire. L’improbable, certains diront le cinématographique surgit, quand la jeune femme au cœur tendre tombe amoureuse du futur mari, et qu'ils font l’amour dans la voiture qui a tué l’immigrant. Toutes les réactions sont possibles. Soit on sympathise avec la femme, soit on est dégoûtés d’une telle situation ; autant de l’homme que de l’adultère, soit on trouve tout simplement le film un peu trop tiré par les cheveux. Désolé, pas mon genre... Mais bon, je n'allais pas « me barrer » pour autant.


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